En 1970, Alain a été victime d'un accident de travail. En plus de perdre ses dix doigts, des parties de ses deux mains ont été arrachées. Chaque année, il réclame au provincial une déduction pour déficience grave physique, laquelle s'élevait à 2250$ pour l'année d'imposition 2006.

En 1970, Alain a été victime d'un accident de travail. En plus de perdre ses dix doigts, des parties de ses deux mains ont été arrachées. Chaque année, il réclame au provincial une déduction pour déficience grave physique, laquelle s'élevait à 2250$ pour l'année d'imposition 2006.

Pour avoir droit à cette déduction provinciale, il faut qu'un professionnel de la santé remplisse un formulaire d'attestation de déficience. Dans le cas d'Alain , il s'agit bien entendu d'une déficience permanente.

«Dans le cas où une déficience est permanente, il n'est pas nécessaire de produire une autre attestation pour les années suivantes, sauf si Revenu Québec en demande une nouvelle ou si l'état de la personne ayant la déficience s'est amélioré depuis la dernière fois qu'une telle attestation a été produite», indique Revenu Québec à la page 3 du Formulaire TP-752.0.14.

Question de zèle, Revenu Québec ne prend pas de chance avec Alain et... conséquemment, son comptable, Ephrem Pellerin, de Saint-Élie, s'est fait avertir par un vérificateur de Revenu Québec que son client devra produire sous peu une nouvelle attestation sur l'état de sa déficience physique...

M. Pellerin a eu beau expliquer au vérificateur de Revenu Québec que des doigts, ça ne repousse pas, rien à faire. Il s'est fait répondre que le formulaire d'attestation de déficience c'est bon pour quatre ans seulement. M. Pellerin perçoit dans cette demande de Revenu Québec une forme de harcèlement.

J'ai demandé au service des communications de Revenu Québec s'il était vrai qu'une nouvelle attestation de déficience doit être transmise à tous les quatre ans? Réponse de la porte-parole Linda Di Vita : non, c'est une information erronée.

Cela dit, rien n'empêche un vérificateur zélé de demander une nouvelle attestation de déficience s'il estime, lui, que des doigts, des mains, des jambes... ça peut repousser. Afin d'éviter tout imbroglio au sujet des handicaps permanents, j'invite le nouveau ministre de Revenu Québec, Jean-Marc Fournier, à offrir à ses vérificateurs de l'impôt un cours d'initiation 101 sur la déficience grave.

LA CRÉATIVITÉ FISCALE DE QUÉBEC

Par ailleurs, le comptable d'Alain, Ephrem Pellerin, trouve que le gouvernement du Québec agit en hypocrite avec la présumée non imposition des prestations et indemnités versées par la CSST (Commission de la santé et de sécurité du travail du Québec) aux accidentés du travail.

Jusqu'en 2004, les accidentés du travail n'avaient pas à déclarer les prestations et indemnités de la CSST. Mais dans le cadre de son budget du printemps 2004, le ministre des Finances de l'époque, Yves Séguin, du gouvernement Charest, a modifié les règles fiscales qui touchent toutes les prestations et indemnités versées par un organisme public à titre de remplacement du revenu. Cela concerne les indemnités versées par la CSST, la SAAQ (Société d'assurance automobile) et même les suppléments fédéraux comme le supplément de revenu garanti.

Ces prestations et indemnités sont devenues indirectement imposables au Québec, ce qui n'est pas le cas au fédéral.

Prenons pour exemple l'indemnité de 12 059$ que la CSST a versée en 2006 à l'accidenté Alain et voyons ensemble le chemin tortueux que ce revenu devait suivre dans la déclaration de revenu de 2006 du Québec.

Un: le revenu de 12 059$ devait être déclaré à la ligne 148: «Indemnités de remplacement de revenu, relevé 5, case C,D,E ou K et versement net des suppléments fédéraux, feuillet T4A (OAS)». Cela a eu pour effet d'augmenter d'autant (12 059$) le revenu total d'Alain.

Deux: Revenu Québec a permis à Alain de déduire ladite somme de 12 059$ à la ligne 295 de la déclaration: «Déductions pour certains revenus», dont les indemnités pour accident de travail, accident de la route, victime d'acte criminel, etc. Cela a donc réduit le revenu imposable d'Alain de la somme de 12 059$.

Il est où le problème puisque d'une part le revenu total d'Alain a augmenté de 12 059$ et que d'autre part cette même somme a été déduite par la suite dans le calcul du revenu imposable ?

Vous vous dites c'est comme échanger quatre 25 cents pour un dollar... Absolument pas!

La créativité fiscale du ministère des Finances et de Revenu Québec ne se limite jamais à une simple soustraction. Voilà pourquoi les prestataires, comme Alain, devaient par la suite inscrire ladite somme d'indemnité de 12 059$ à la ligne 358 de la déclaration intitulée: «Redressement pour indemnités de remplacement de revenu».

Cette ligne 358 fait partie de la section servant à calculer la somme de nos crédits d'impôt non remboursables.

Dans les savants calculs élaborés par l'équipe de l'ancien ministre Yves Séguin, il a été établi que dans le cas d'Alain, sur une indemnité totale de 12 059$... une somme de 5877,93$ représentait un ajustement imposable par rapport à la déduction du montant personnel de base.

Pour l'année 2006, la déduction du montant personnel de base s'élevait à 9555$. Dans le cas d'Alain, ce montant de base a été réduit de 5877,93$, ce qui lui procurait finalement une déduction de seulement 3677,07$.

Après avoir suivi ce tortueux chemin fiscal, Alain se voit finalement imposé indirectement à hauteur de 735$ sur cette indemnité de la CSST, laquelle n'était pas imposable sous aucune forme jusqu'en 2004.

L'imposition indirecte depuis 2004 des prestations et indemnités de la CSST, de la SAAQ et autres organismes public rapporte environ 65 millions de dollars dans les coffres du gouvernement du Québec. C'est par souci «d'équité» envers les travailleurs que le gouvernement Charest avait institué cette nouvelle mesure fiscale.

Fait important à noter: le calcul des prestations et indemnités de la CSST, de la SAAQ, du supplément de revenu garanti... a toujours tenu compte du fait que Québec et Ottawa n'imposaient pas ce type de revenu.

Malgré cela, le gouvernement Charest y a flairé en 2004 une occasion d'aller chercher des revenus additionnels. Pendant ce temps-là, heureusement, Ottawa n'ose pas encore s'attaquer à ces petits contribuables non choyés par la vie!