On ne peut pas dire que c'est une surprise. Même si, pas plus tard que la semaine dernière, BCE ne se disait toujours pas prête à se convertir en fiducie de revenu, plus personne n'était dupe. À preuve, le marché avait déjà largement escompté la décision de la plus grande entreprise de télécommunications au pays, l'action de BCE ayant gagné 15 % depuis que Telus, sa grande rivale, avait fait part de sa décision de se transformer en fiducie. Était-ce voulu? l'annonce tant attendue de BCE a été faite un mois, jour pour jour, après celle de Telus.

On ne peut pas dire que c'est une surprise. Même si, pas plus tard que la semaine dernière, BCE ne se disait toujours pas prête à se convertir en fiducie de revenu, plus personne n'était dupe. À preuve, le marché avait déjà largement escompté la décision de la plus grande entreprise de télécommunications au pays, l'action de BCE ayant gagné 15 % depuis que Telus, sa grande rivale, avait fait part de sa décision de se transformer en fiducie. Était-ce voulu? l'annonce tant attendue de BCE a été faite un mois, jour pour jour, après celle de Telus.

Le holding montréalais n'avait pas vraiment le choix; toutes les autres grandes entreprises de télécommunications l'avaient fait avant elle. Si BCE voulait être concurrentielle sur le marché des capitaux et continuer d'attirer des investisseurs, il lui fallait se convertir à son tour. BCE disparaît donc et cède la place au Fonds de revenu Bell Canada. Avec une valeur approximative de 26 milliards de dollars, cette fiducie de revenu deviendra la plus importante au pays.

Les actionnaires de BCE, dont la valeur de leur placement stagnait depuis quatre ans, voient enfin leur patience récompensée. Chaque action détenue sera échangée contre une part du Fonds et le dividende annuel de 1,32 $, qui était versé par action, sera remplacé par une distribution en espèce de 2,55 $ par part. Ça représente un bond de 93 %, pas mal comme échange! On comprend pourquoi les fiducies ont la cote parmi les investisseurs.

Si le Fonds de revenu Bell Canada peut se montrer si généreux envers ses détenteurs de parts, c'est que les fiducies sont pratiquement exemptes d'impôt. Dans le cas de BCE, c'est une somme juteuse qui échappera au fisc. L'impôt à payer en 2007 aurait été de 250 millions de dollars et de 800 millions en 2008. Comment résister à l'attrait d'une structure qui permet d'économiser plus d'un milliard de dollars d'impôt en deux ans? Pas étonnant que cette formule connaisse un tel succès auprès des entreprises. Depuis trois ans, le nombre de fiducies a littéralement explosé.

Bien sûr, les détenteurs de parts paient l'impôt lié aux distributions reçues, mais le gouvernement sort quand même perdant. Il ne percevra pas autant de recettes des détenteurs de parts que des entreprises. D'abord, parce que les parts peuvent être détenues dans un REER et être ainsi exemptes d'impôt et ensuite, parce qu'elles peuvent être détenues par des investisseurs étrangers, qui ont seulement une petite taxe à payer.

Le gouvernement Martin avait cherché, l'automne dernier, à corriger l'avantage fiscal des fiducies sur les sociétés par actions. Mais l'approche des élections avait changé la donne. La consultation lancée par Ralph Goodale avait été écourtée, l'option retenue ciblant la réduction des impôts sur les revenus de dividendes. Plusieurs experts avaient alors conclu que cette décision ne réglerait pas complètement l'iniquité fiscale entre les fiducies et les sociétés par action. Une fois élu, le gouvernement Harper a toutefois maintenu cette décision et l'a adoptée dans son budget. C'est à ceux qui nous gouvernent maintenant de vivre avec leurs choix. C'est d'ailleurs ce que Michael Sabia, le grand patron de BCE, a répondu à un journaliste du Financial Times qui lui demandait s'il ne trouvait pas étrange que l'une des plus grandes entreprises au Canada ne paieraient plus d'impôt. " C'est aux gouvernements d'établir les règles fiscales et c'est aux dirigeants d'entreprises d'en tirer le meilleur parti ", a-t-il répondu en substance.

Le problème avec cet engouement pour les fiducies va bien au-delà de la seule fiscalité. En se transformant en fonds de revenu, les entreprises peuvent

compromettre leur développement. Où trouver l'argent pour assurer l'expansion future si les revenus sont versés aux détenteurs de parts? Dans le cas de BCE, la direction de l'entreprise assure que cette conversion n'entraînera aucune diminution des dépenses d'investissement. " En général, Bell investit 3 milliards de dollars par année dans son développement. Nous allons maintenir ce cap ", a déclaré à La Presse Affaires Patrick Pichette, président de l'exploitation de Bell Canada. Ça reste à voir.

Si Bell veut soutenir la concurrence sans merci que lui livre les câblodistributeurs, elle doit absolument continuer à investir des sommes colossales dans son développement. L'entreprise a de nombreux projets, tous plus ambitieux les uns que les autres. Où coupera-t-on si la croissance n'est pas au rendez-vous? Dans le budget de développement ou dans le montant alloué à la distribution annuelle? Comment réagiraient les détenteurs de parts face à une telle diminution? Sans vouloir gâcher le party, il faut envisager ce genre de situation.

La question est maintenant de savoir si les câblos vont se laisser séduire à leur tour par les charmes des fiducies de revenu. Eux aussi peuvent prétexter le droit à la parité concurrentielle sur le marché des capitaux avec les grands des télécoms. Interrogé à ce sujet par des journalistes de l'agence Bloomberg, un porte-parole de Rogers Communications a déclaré que ce n'était pas dans les plans de son entreprise. Rappelons nous que BCE disait la même chose la semaine dernière.

mboisver@lapresse.ca

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