On l'attendait après le lunch, il est entré par surprise sur le coup de midi.

On l'attendait après le lunch, il est entré par surprise sur le coup de midi.

David Radler n'avait rien des prisonniers en costume orange que l'on croise dans les couloirs de la cour fédérale de justice du district nord de l'Illinois, pieds et poings enchaînés.

L'ancien bras droit de Conrad Black avait le teint basané d'un riche à la retraite. Et son costume gris était illuminé par une flamboyante cravate rose fluo que seul un homme en pleine possession de ses moyens oserait porter.

Pourtant, David Radler avait le pas hésitant lorsqu'il a contourné la table où était assis, avec un visage fermé et impassible, son ancien associé et ami de près de 40 ans. Silencieux toute la journée, Conrad Black a dardé David Radler d'un regard qui hurlait le mépris.

David Radler n'a pu soutenir ce regard, lui qui collabore avec le gouvernement en échange d'une sentence plus clémente. Il regardait le pupitre devant lui ou fixait ses yeux sur Eric Sussman, le procureur du gouvernement qui lui posait des questions.

Et c'est en murmurant que l'homme de 64 ans a publiquement avoué ses fautes. Je plaide coupable pour avoir pris l'argent, alors que les circonstances ne m'y autorisaient pas, a-t-il témoigné d'entrée.

Ce fut le seul moment d'intensité dans cette journée entrecoupée par les objections des bataillons d'avocats, Conrad Black et ses trois coaccusés ayant chacun une équipe de plaideurs et d'experts légaux à leur service.

Le témoignage de David Radler s'annonce long. Le procureur Sussman est revenu à la première rencontre entre les deux patrons de presse et a lentement remonté le fil de leur relation d'affaires qui s'est muée en amitié. Je n'avais pas beaucoup de temps libres, et ceux que j'avais, je les passais avec lui, a raconté David Radler, en parlant de l'époque où ils venaient d'acheter leur premier journal, le Sherbrooke Record.

L'objectif du gouvernement américain, qui accuse Conrad Black d'avoir pillé l'éditeur de journaux Hollinger International, est limpide. Prouver que les deux hommes étaient inséparables en affaires, soit aussi coupables l'un que l'autre.

Je n'ai jamais pris aucune décision financière importante sans consulter Conrad Black au préalable, a répété David Radler en de nombreuses occasions. Je n'ai jamais vendu un journal sans en discuter avec Conrad Black, a-t-il ajouté.

À la demande du gouvernement, David Radler a effleuré une explication au sujet des malversations qui auraient été commises par les grands patrons de Hollinger International, pour pallier la baisse de leurs revenus en raison de la vente de journaux. En février et mars 2000, nous avons réalisé que notre situation était précaire, a dit ce Montréalais de naissance qui habite maintenant Vancouver.

Nous étions tous deux préoccupés par notre problème de dette. Nous avions des obligations bancaires et salariales. Il nous fallait avoir assez de revenus pour y faire face.

Clairement, le gouvernement reviendra et martèlera sur ce point. L'ennui, c'est qu'il se perd entre-temps dans des dédales de comptabilité et de structure. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?

Les procureurs se sont un peu embourbés lorsqu'ils ont tenté d'expliquer aux 17 membres du jury, composé à majorité de femmes, la structure en poupées russes des entreprises contrôlées par Conrad Black.

Ils se sont enfoncés dans des notions comptables d'évaluation d'entreprise avec un expert de la firme KPMG, allant même jusqu'à afficher sur un écran géant des extraits du Journal of Accountancy.

Et personne n'a encore compris pourquoi ils ont longuement discuté des salaires et des primes des grands patrons de Hollinger International. Pas surprenant qu'une juré se soit même assoupie.

De leur côté, les avocats de Conrad Black ont marqué des points en contre-interrogeant en matinée l'une des secrétaires de direction de Conrad Black, Janice Akerhielm. C'est elle qui a organisé le fameux souper d'anniversaire de la femme de Conrad Black, Barbara Amiel, au restaurant La Grenouille de New York.

Elle a expliqué que Hollinger International avait payé les deux tiers de la note, soit près de 43 000 $US, tandis que Conrad Black n'en avait assumé que le tiers, soit 20 000 $US et des poussières.

Questionnée par l'avocat américain Edward Genson, Janice Akerhielm a toutefois reconnu qu'elle ignorait si la fête n'avait pas été une occasion pour brasser des affaires.

Et le très coloré Genson de nommer le who's who des médias et des affaires qui assistait à la fête, dont la plupart des administrateurs de Hollinger International. Donald Trump, un invité, n'a-t-il pas conclu une transaction immobilière avec l'éditeur journaux quelques semaines après la fête ?

Bref, même avec le témoignage de David Radler, la condamnation de Conrad Black est loin d'être jouée.