En 2000, plusieurs commentateurs et analystes financiers croyaient que les jours d'Astral Media étaient comptés. Astral sera vendue d'ici deux ans, affirmait l'un deux.

En 2000, plusieurs commentateurs et analystes financiers croyaient que les jours d'Astral Media étaient comptés. Astral sera vendue d'ici deux ans, affirmait l'un deux.

Ce n'est qu'une question de temps, renchérissait un autre. Astral avait beau démentir, les rumeurs ont persisté jusqu'au début de cette année.

Ce qu'elle a dû être douce, la première bouffée de Montecristo no. 2, le cigare préféré d'Ian Greenberg. Le président d'Astral a savouré hier la plus grande transaction de l'histoire de l'entreprise née en 1961 du petit commerce de matériel photo qu'il a fondé avec ses frères. Et il a pris sa revanche.

Dans l'industrie de la radio, Astral surpassera les entreprises qui avaient été pressenties pour l'acquérir, Corus et CHUM en tête. Avec les 52 stations de Standard Radio, sa division radio affichera un chiffre d'affaires de 328 millions de dollars, soit 55 millions de plus que celui de Corus, son rival le plus proche.

Astral prétend aussi au premier rang en terme d'heures d'écoute hebdomadaires chez les plus grands radiodiffuseurs du pays. Sa part de marché s'élèverait à 31% contre 28% pour Corus, d'après le Broadcasting Policy Monitoring Report daté du 30 juin 2006.

Surtout, cette transaction permettra à Astral de se sortir du Québec et des Maritimes, où sa division radio était confinée. La carte des stations de radio d'Astral au Canada - elles sont 81 au total - ressemble maintenant à une pizza bien garnie. Astral accèdera ainsi aux riches marchés métropolitains de Toronto, de Calgary, d'Edmonton et de Vancouver.

Cela faisait des années qu'Astral cherchait à faire un grand coup mais n'arrivait pas à ficeler une transaction. Pendant ce temps, les occasions lui passaient sous le nez. L'été dernier, CTVGlobemedia s'est porté acquéreur de CHUM. En janvier, Alliance Atlantis s'est laissée séduire par CanWest Global Communications, qui s'est associée à la banque d'affaires américaine Goldman Sachs. Comme quoi il y a du vrai dans le dicton selon lequel les derniers seront les premiers.

Plusieurs analystes craignaient toutefois qu'Astral finisse par payer trop chèrement son premier rang dans l'industrie de la radio. Mais Ian Greenberg n'a pas déshonoré sa réputation d'homme d'affaires prudent.

Au montant de 1,08 milliard, cette transaction s'établit à 12,7 fois le bénéfice d'exploitation projeté pour l'année financière 2007. Cela correspond aux évaluations boursières actuellement observées aux États-Unis (entre 11,8 et 13,5 fois le profit d'exploitation des 12 derniers mois). C'est aussi moins cher que ce qu'Astral avait allongé pour les stations de radio de Télémédia en 2001.

Les stations de Standard Radio sont les plus profitables au pays. Même si Astral ne réussit pas à dégager de grandes économies d'échelle - elle se refuse d'ailleurs à les chiffrer - les radios de Standard embelliront ses profits. Reste à voir si le tandem Astral/Standard séduira un plus grand nombre d'annonceurs nationaux, comme l'espère le grand patron de la division radio, Jacques Parisien. C'est là le vrai test de cette acquisition.

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Cette transaction est tout aussi remarquable pour ce qu'elle ne comprend pas. Les dirigeants d'Astral racontent qu'ils n'étaient pas intéressés à acquérir la participation de Standard Radio dans le radiodiffuseur par satellite Sirius Canada (de 25%). Ils ont aussi levé le nez sur les activités de radio internet de Standard, comme le portail IcebergRadio.com.

C'est une condamnation presque sans appel de ces nouveaux modes de diffusion et de facturation de la radio. Les radiodiffuseurs par satellite ont investi des centaines de millions pour développer leurs technologies et retenir des gros noms comme Howard Stern. Et ils ont échoué là où un petit baladeur nommé iPod a révolutionné l'industrie de la musique. Ce n'est pas pour rien que Sirius et XM, les deux grands joueurs nord-américains, sont contraints à fusionner pour survivre.

La radio par satellite ne réussira pas à percer avant plusieurs années, juge Ian Greenberg.

Quant à la radio internet par abonnement, Ian Greenberg est plus lapidaire encore. Been there, done that, disent les anglophones. Astral a lancé l'an dernier radiolibre.ca, une radio internet personnalisée en fonction de ses goûts. Un flop, de l'aveu même de ses dirigeants. Financièrement, cela ne tient pas la route, dit Ian Greenberg. Astral a d'ailleurs été contrainte de radier les près de 2 millions de dollars investis dans l'achat des droits pour construire les catalogues musicaux.

Notre stratégie repose sur la radio conventionnelle, dans laquelle nous croyons, a maintenu Ian Greenberg.

Le marché publicitaire de la radio au Canada a crû de 4,5% par an, en moyenne, entre 2001 et 2005. Sa croissance devrait être légèrement plus élevée entre 2006 et 2010, soit de 4,7% par an, prévoit la firme PriceWaterhouseCoopers.

Cela n'a rien à voir avec les perspectives d'avenir (et les profits) de la télé payante, qui carbure aux grandes séries dramatiques comme les Sopranos. C'est même assez pépère. Mais bon, cela vaut certainement un bon cigare.