Imaginez la scène. Vous être président et chef de la direction d'une société inscrite en Bourse. Vous cherchez à prendre de l'expansion en Europe. Pendant deux ans, vous examinez une dizaine d'acquisitions potentielles. Dans trois cas, vous vous rendez jusqu'à la vérification diligente. Après cette minutieuse analyse, vous êtes finalement convaincu d'avoir trouvé la perle rare. Arrive le grand jour, celui où vous présentez à tous votre nouvelle conquête et c'est la crucifixion publique: votre action dégringole d'environ 30 % dans les jours suivant l'annonce.

Imaginez la scène. Vous être président et chef de la direction d'une société inscrite en Bourse. Vous cherchez à prendre de l'expansion en Europe. Pendant deux ans, vous examinez une dizaine d'acquisitions potentielles. Dans trois cas, vous vous rendez jusqu'à la vérification diligente. Après cette minutieuse analyse, vous êtes finalement convaincu d'avoir trouvé la perle rare. Arrive le grand jour, celui où vous présentez à tous votre nouvelle conquête et c'est la crucifixion publique: votre action dégringole d'environ 30 % dans les jours suivant l'annonce.

C'est ce qui est arrivé à Louis Audet, président et chef de la direction de Cogeco, lorsqu'il a annoncé, en juin dernier, l'acquisition de Cabovisao, le deuxième câblodistributeur en importance au Portugal.

" Oui, ça ébranle au début. Après coup, on réalise que cette réaction des marchés n'avait ni queue ni tête. C'était grossièrement exagéré. C'est comme si la valeur attribuée au Portugal était zéro. Ça ne tient pas debout. Une personne sensée aurait attribuer au moins la valeur des actifs tangibles. Au moins ".

Le marché reprochait notamment à Cogeco de s'être endettée à outrance pour mettre la main sur Cabovisao et d'avoir payé le gros prix pour cette acquisition. Louis Audet croit au contraire que les 660 millions de dollars offerts représentent un prix raisonnable pour ce qu'il considère un véritable joyau. " C'est un réseau à la fine pointe, il est neuf. Il n'y a rien à changer. Vous avez juste à le faire marcher ".

Foyers câblés

Au 31 août, Cabovisao comptait 826 369 foyers câblés et offrait les trois services: la télévision analogique, l'Internet haute vitesse et la téléphonie. Le taux de pénétration du câble au Portugal est de 30 %, soit la moitié moins que chez nous. " Ce marché-là offre un potentiel remarquable. Nous avons ici au Canada une expérience très précieuse de servir des villes qui ne sont pas des grandes villes, d'être là où le profit est plus difficile à faire. On se retrouve à peu près dans la même situation au Portugal, sauf 10 ans en arrière en terme de pénétration. C'est un textbook case: une compagnie qui a une faible pénétration, qui se fait acheter par des gens qui ont de l'expérience et qui vont monter la pénétration. "

Sauf que Cabovisao est en concurrence avec le numéro un du secteur au Portugal sur 60 % de son territoire. Malgré tout, Louis Audet est optimiste. " C'est sûr que les gens ont le droit de douter et de dire on verra, mais on a assez d'expérience pour être capable d'écrire la suite du livre. "

Louis Audet a l'habitude de se battre. L'entreprise qu'a fondée son père a toujours été sous-estimée. En 1957, Henri Audet débutait sa carrière dans le câble avec un réseau de 25 000 abonnés à Trois-Rivières. Depuis, on a souvent douté de son avenir, parce qu'elle serait trop petite pour réussir à survivre dans un monde où la taille compte. " Dans notre domaine, c'est rare que des entreprises issues de plus petites villes peuvent s'établir. C'est assez rare. C'était une côte peut-être plus abrupte, mais les résultats sont là. "

Parlant résultats, ceux de l'année financière 2006 que vient de présenter Cogeco a largement dépassé les attentes des analystes. Louis Audet s'en réjouit, bien sûr, mais n'est pas triomphant. Ce n'est pas dans sa nature. L'homme de 55 ans, à la barre de l'entreprise familiale depuis 13 ans, est plutôt discret et d'une humilité étonnante. " On est une équipe ici. Moi, je peux m'en aller demain, l'équipe va continuer à marcher. Ils n'ont pas besoin de moi. C'est l'oeuvre d'une équipe qui se tient. "

L'homme poursuit en expliquant que l'oubli de soi au bénéfice du bien commun fait partie des critères d'embauche. " C'est l'anti-culte de la personnalité ici " dira-t-il en riant.

Louis Audet est peut-être humble, ça ne l'empêche pas pour autant d'être mordant lorsqu'il défend les intérêts de son industrie et les principes d'équité dans lesquels il croit. C'est le cas notamment quand on aborde la question de la téléphonie IP, la téléphonie par Internet, où les câblodistributeurs viennent de faire leur entrée. Dans une décision rendue en mai 2005, le CRTC choisissait de favoriser une plus grande concurrence dans la téléphonie locale. Pour se faire, l'organisme laissait le champ libre aux nouveaux arrivants, tout en continuant à réglementer les anciens monopoles.

" Cette décision favorise les nouveaux arrivants, parce que l'histoire de notre pays, c'est que les compagnies de téléphone ont étranglé au berceau toutes les nouvelles venues. C'est ça l'histoire de notre pays. Donc, c'est manifeste qu'il faut que quelqu'un tienne les compagnies de téléphone adultes loin du berceau. "

Après un lobby intensif des anciens monopoles que sont Bell et Telus, le gouvernement conservateur a demandé au CRTC de revoir sa décision. Une fois l'exercice terminé, l'organisme a maintenu le cap. " Le gouvernement sort une décision on the fly dans le style: nous on va dire au CRTC c'est quoi la bonne façon de faire. Ce n'est pas sérieux. Ils en ont le droit, mais ce n'est pas sérieux. C'est de l'improvisation. Le CRTC a conduit une étude rigoureuse, dont les conclusions s'appuient sur la collection d'un grand nombre de données. Au strict plan de l'équité, le gouvernement devrait laisser le CRTC tranquille. "

Louis Audet ne se fait pas beaucoup d'illusions. Il s'attend à ce que le gouvernement force la main au CRTC pour qu'il déréglemente complètement le marché de la téléphonie locale. Il se prépare à faire contre mauvaise fortune bon coeur. " Notre travail, c'est qu'il faut que ça aille bien quoi qu'il advienne. "