À un ingénieur de Microsoft qui lui annonçait qu'il quittait le géant du logiciel de Redmond, Washington, pour travailler chez Google, Steve Ballmer aurait prétendument rétorqué, la voix emplie de rage, que Google n'était «pas une vraie entreprise».

À un ingénieur de Microsoft qui lui annonçait qu'il quittait le géant du logiciel de Redmond, Washington, pour travailler chez Google, Steve Ballmer aurait prétendument rétorqué, la voix emplie de rage, que Google n'était «pas une vraie entreprise».

«C'est un château de cartes», aurait dit le chef de la direction de Microsoft en 2004, en ajoutant que Microsoft «tuerait Google».

Si Steve Ballmer qualifie aujourd'hui de complètement exagéré le compte rendu de cet ex-employé de Microsoft rapporté par Associated Press, il est tout de même révélateur de son époque.

En 2004, Google a fait ses premiers pas en Bourse - au pas de course - tandis que Microsoft était depuis longtemps déjà un poids lourd de la nouvelle économie.

Quatre ans plus tard, les rôles semblent inversés, tandis que l'offre d'achat de Microsoft sur Yahoo! est - officiellement - kaput.

Avec une valeur boursière de 182 milliards de dollars américains, Google domine de façon outrageuse le marché de la publicité associée aux recherches sur l'internet. D'après les données les plus récentes de la firme comScore, 59,8% des recherches lancées aux États-Unis passent par Google.

Et en acceptant de s'autocensurer en Chine, c'est Google qui a emprunté à Microsoft son masque de Darth Vader.

Pendant ce temps, des chroniqueurs vont jusqu'à annoncer, sur la foi de résultats financiers décevants associés au nouveau système d'exploitation Vista, le début de la fin de l'empire de Bill Gates. Et cela, à quelques semaines du départ à la «semi-retraite» du fondateur de Microsoft, fin juin.

L'échec de la mainmise de Microsoft sur Yahoo!, trois mois après le dépôt d'une offre d'achat non sollicitée, laisse les deux grands rivaux de Google en désarroi. Quelles avenues se présentent à eux? Elles ne sont pas légion.

Microsoft

Depuis ce week-end, on reproche à Steve Ballmer, qui offrait près de 45 milliards US pour acquérir Yahoo, d'avoir été chiche! Il aurait pu allonger un «petit» 5 milliards de plus pour convaincre Jerry Yang de céder l'entreprise qu'il a cofondée.

Les mêmes le critiquent, aussi, de ne pas avoir lancé une offre d'achat hostile sur Yahoo!, en déclenchant une guerre de procurations.

Mais Steve Ballmer a fait preuve de prudence. Pourquoi offrir plus pour une entreprise en perte de vitesse, uniquement parce qu'on en a les moyens? Et puis, il faut voir qu'il est extrêmement difficile d'intégrer deux entreprises de grande taille même dans les conditions les plus propices. Rappelez-vous l'achat d'AOL par Time Warner ou le mariage de Universal et de Vivendi: pénible.

Si c'est difficile dans le meilleur des cas, imaginez le mariage de deux sociétés aux cultures d'affaires éloignées, et dont les employés de l'une, au nombre de 10 000, ne veulent rien savoir de travailler pour Microsoft. Comme on dit dans le langage populaire, c'est mal barré

En ce sens, Microsoft a bien fait de prendre du recul. D'autant que, dans sa lettre à Jerry Yang, Steve Ballmer prend bien soin de laisser la porte ouverte à un éventuel regroupement, en remerciant la haute direction de Yahoo! du temps consacré à l'étude de la transaction.

En effet, Jerry Yang, qui est revenu à la barre de l'entreprise il y a un an, pourrait bien être contraint de reconsidérer son refus si les actionnaires mécontents de Yahoo! se révoltent.

Entre-temps, le problème de Microsoft reste entier. Pis, il s'est aggravé puisque la menace de Microsoft a poussé Yahoo! dans les bras de Google.

En effet, le célèbre portail vient de sous-traiter à Google, sur une base expérimentale, la technologie qui génère la publicité associée à la recherche par mots clefs.

Après avoir claqué une fortune pour conquérir le web, Microsoft n'arrive toujours pas à s'imposer dans la pub internet associée à la recherche, là où les annonceurs dépensent le plus d'argent.

La division qui chapeaute ce service s'enfonce dans le rouge (perte de 228 millions US contre 171 millions US il y a un an, malgré des revenus en forte hausse).

Microsoft pourrait tenter d'autres acquisitions. Parmi les cibles se trouveraient ValueClick, spécialiste du marketing internet, AOL, le portail de TimeWarner, ou MySpace, le réseau social de News Corp., du magnat Rupert Murdoch.

Toutefois, ces acquisitions n'assureraient pas à Microsoft la masse critique en recherche qui lui permettrait de séduire les annonceurs. Or, comme il ne reste plus d'acteurs importants depuis la vente du réseau publicitaire DoubleClick à Google, Microsoft devra peut-être attendre que le fruit Yahoo! soit plus mûr.

Yahoo!

Le portail vit en quelque sorte sur la célébrité que lui a assurée son service courriel. Mais Google chauffe les fesses de Yahoo! et pourrait bientôt lui ravir la palme de la collection de sites les plus fréquentés.

Yahoo! a longtemps négligé d'investir dans sa technologie, une décision qui lui coûte fort cher.

Son association toute récente avec Google est, en quelque sorte, un désaveu de son système Panama, que le portail avait récemment lancé en grande fanfare. Pour le moral des ingénieurs, on repassera.

Qui plus est, les autorités anti-trust des États-Unis voient d'un très mauvais oeil le rapprochement entre Yahoo! et Google, même si l'expérience menée depuis deux semaines est limitée.

Ensemble, les deux sociétés auraient presque un quasi-monopole sur la publicité internet associée à la recherche. Le département de la Justice pourrait ainsi jouer les empêcheurs de danser en rond.

La pression sera donc très forte sur Jerry Yang pour qu'il respecte ses promesses et redonne de l'envergure à Yahoo!, par croissance interne ou par acquisition. Dans ce dernier cas, Yahoo! devra toutefois rivaliser avec Microsoft, qui dispose de muscles financiers beaucoup plus imposants.

Des poursuites se pointent aussi à l'horizon à la suite du rejet de l'offre d'achat de Microsoft. Un faux pas, et Yahoo! aura une rébellion d'investisseurs activistes sur les bras. Bref, Jerry Yang n'a plus droit à l'erreur.