Il y a neuf ans, une bande de zoufs avait fait exploser des petites bombes à l'extérieur du siège social de BioChem Pharma, à Laval, pour faire un coup de fric sur la chute du titre de cette biotech en Bourse. Si cet attentat avait créé toute une commotion, il a lamentablement échoué à enrichir ses auteurs.

Il y a neuf ans, une bande de zoufs avait fait exploser des petites bombes à l'extérieur du siège social de BioChem Pharma, à Laval, pour faire un coup de fric sur la chute du titre de cette biotech en Bourse. Si cet attentat avait créé toute une commotion, il a lamentablement échoué à enrichir ses auteurs.

Or, il y a un moyen beaucoup plus efficace de manipuler le marché boursier sans avoir à manier des explosifs. Il suffit de faire publier une fausse nouvelle sur le site d'un média respecté ou sur le fil d'une grande agence.

À l'heure des alertes boursières, de la négociation par internet et des transactions automatisées, on peut faire bouger le marché pendant de longues minutes avant que les transactions ne soient stoppées, comme le démontrent des incidents touchant United Airlines et Tembec survenus depuis une semaine.

Ces deux incidents impliquent l'agence Bloomberg, dont la crédibilité est mise à mal.

Jeudi dernier, le titre de Tembec a perdu 30% de sa valeur en fin de séance après que Bloomberg eut diffusé une courte dépêche intitulée Tembec Industries déclare faillite. En fait, la filiale américaine de Tembec était en train de faire homologuer son plan de restructuration financière auprès d'un tribunal new-yorkais. Mais le texte qui expliquait cette nouvelle n'est paru qu'après la fermeture des marchés. Le mal était fait.

Dans le cas d'UAL Corp., société mère du transporteur United Airlines, ses actions ont chuté de 76% en quelques minutes lundi. Bloomberg avait annoncé que l'entreprise se mettait à l'abri de ses créanciers pour se restructurer. La nouvelle était vraie... il y a six ans!

Comment cette vieille nouvelle a-t-elle refait surface? Son cheminement est révélateur. Un article paru lundi matin sur le site internet du Sun Sentinel de la Floride offrait tout bêtement un hyperlien sur un texte du Chicago Tribune datant de 2002.

United juge que ce journal du sud de la Floride s'est comporté de façon "irresponsable". Le propriétaire du Sun Sentinel, Tribune Co., se défend toutefois d'avoir diffusé une nouvelle rassise. Selon lui, il était clair qu'il s'agissait d'un texte d'archives.

Quoi qu'il en soit, la nouvelle du Sun Sentinel a été reprise par la firme de recherche Income Securities Advisors, qui produit des rapports sur des entreprises en détresse en écumant la Toile à l'aide du moteur de recherche Google. Cette fausseté n'était d'ailleurs pas complètement improbable, dans la mesure où United Airlines licencie actuellement 7000 salariés et souffre, comme le reste de l'industrie, du prix élevé du carburant pour avions, bien que celui-ci soit en train de chuter précipitamment.

L'agence Bloomberg a diffusé à l'intention de ses membres le rapport d'Income Securities Advisors, de la même façon qu'il offre les nouvelles d'autres fournisseurs de contenus. La nouvelle sur UAL figurait en tête de rapport. C'est l'étincelle qui a mis le feu aux poudres.

Dans le cas de Tembec, la publication d'une nouvelle au titre équivoque n'a pas eu trop de retentissement. Le titre a retrouvé sa valeur au lendemain de l'incident. Ce qui n'est pas le cas de United. Au NASDAQ, son titre avait commencé la journée de lundi à 12,30$US, est tombé comme une roche à 3$US puis a rebondi à 10,90$US en fin de séance. Au final, il a perdu 11% dans un marché haussier, grâce au sauvetage de Fannie Mae et de Freddie Mac.

La Bourse NASDAQ a refusé d'annuler les transactions effectuées en panique, lorsque la nouvelle s'est propagée sur les terminaux Bloomberg de la planète à la vitesse de l'éclair. Il aurait semble-t-il fallu une manipulation délibérée du marché pour que NASDAQ fasse table rase des transactions effectuées.

Mais, y a-t-il eu manipulation? C'est la question que se pose Richard Lehmann, président d'Income Securities Advisors. "Quelqu'un a peut-être introduit (planted) délibérément cette histoire", a-t-il supputé en entrevue au Wall Street Journal.

Les personnes qui connaissent le fonctionnement du moteur Google peuvent influencer les résultats des recherches des internautes, soit les pages web qui apparaissent en premier. Plus de sites internet ou de blogues font des liens vers une page avec les mêmes mots clés, plus cette page a du poids dans l'algorithme PageRank.

Pour faire sortir une page web en premier, il suffit de créer une multitude de liens pointant vers elle. Cette technique est connue sous le nom de "bombardement Google", traduction littérale de "Google bomb".

Des consultants marketing emploient cette technique de référencement, pour donner plus de visibilité à leurs clients. D'autres s'en servent encore à des fins politiques ou humoristiques. C'est ainsi que les internautes qui tapaient "mouton insignifiant" à leur clavier en 2004 aboutissaient sur la page officielle du premier ministre Jean Charest.

Google a essayé de colmater cette brèche, en modifiant PageRank pour détecter les bombardements et limiter la manipulation des résultats. Mais le système mis au point en 2007 n'est pas encore blindé, et il y a des cracks qui n'ont rien de mieux à faire que de trouver des failles.

Une fausse nouvelle ne provoque pas que de la casse. C'est une grande occasion de faire des profits, pour ceux qui savent comment s'en servir. Or, les incidents de la dernière semaine montrent à quel point la Bourse et les entreprises cotées sont vulnérables à de telles manipulations.

Le problème trouve sa source dans la précipitation. Précipitation des médias à publier une nouvelle avant la concurrence ou à reprendre une exclusivité trouvée ailleurs, ce qui donne à l'information encore plus d'enflure dans les actualités Google. Précipitation des investisseurs à transiger, alors qu'un titre bouge à vive allure.

On a atteint ici les limites de l'instantané.

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