On a félicité Louis Vachon d'avoir sorti le chéquier de la Banque Nationale pour racheter le papier commercial adossé à des actifs détenu par les petits clients -il y en a pour 2 milliards de dollars.

On a félicité Louis Vachon d'avoir sorti le chéquier de la Banque Nationale pour racheter le papier commercial adossé à des actifs détenu par les petits clients -il y en a pour 2 milliards de dollars.

On a critiqué Louis Vachon de ne pas avoir manifesté la même compassion envers les grandes entreprises qui faisaient confiance à la première banque du Québec.

Or, le président de la Nationale n'a pas eu un mot à dire dans cette décision controversée.

Pas un seul. Au plus fort de la crise du papier commercial, en août, il a été écarté des débats. La raison: Louis Vachon se trouve en conflit d'intérêts.

Il détient plus de 2,5 millions de ce papier par l'entremise de fonds communs, papier que la Nationale lui a racheté!

Il n'est d'ailleurs pas le seul administrateur de la Nationale à se trouver entre l'arbre et l'écorce.

Le président du conseil, Jean Douville, détenait aussi de ce papier commercial tout comme Gérard Coulombe, Nicole Diamond-Gélinas et Paul Gobeil, révèle la circulaire de direction.

Ainsi, lorsque la crise s'est déclarée, le conseil a été privé du tiers de ses membres (cinq sur 14).

C'est donc le comité indépendant du conseil, présidé par André Caillé, qui a eu la délicate tâche de «tracer la ligne dans le sable», pour reprendre l'image de cet ancien PDG d'Hydro-Québec.

La Nationale prendrait-elle à son compte le papier commercial qu'elle avait revendu? Quels clients et investisseurs en profiteraient?

Et, question secondaire, mais non accessoire: les patrons et initiés de la Nationale qui en avaient acquis pour 7,1 millions -ils sont 48 en tout- seraient-ils traités comme les autres clients?

Les cinq membres du comité indépendant se sont réunis le dimanche 19 août dans la salle de réunion du conseil au siège social de la rue De La Gauchetière.

Le temps pressait. Alertés par la firme d'évaluation de fonds Morgingstar et la firme de recherche Veritas Investment Research, des investisseurs commençaient déjà à retirer leurs billes des fonds de la Nationale.

En effet, les sept fonds du marché monétaire de la Nationale et de sa filiale Altamira étaient les plus vulnérables aux déboires du marché immobilier américain.

Dans sa forme la plus simple, le papier commercial adossé à des actifs (PCAA) est une collection d'emprunts hypothécaires, de prêts auto et de soldes de cartes de crédit revendue par petites tranches à des investisseurs qui cherchent un endroit sûr pour placer leur argent à court terme (de 30 à 90 jours).

Le marché pour ce papier s'est toutefois effondré en août. Plus personne ne voulait racheter le PCAA qui venait à échéance, de crainte qu'il ne soit contaminé par les hypothèques à taux élevés consenties à des Américains qui n'avaient pas les moyens de s'offrir une maison.

Les banques, principales émettrices de PCAA, avaient les reins assez solides pour accuser le coup.

Pas les boutiques indépendantes comme Coventree, surtout que les institutions financières qui étaient censées assurer leurs arrières ont profité d'une échappatoire unique au Canada pour se défiler.

Or, la Nationale était la plus vulnérable des grandes banques canadiennes. Plutôt que de «manufacturer» son propre papier commercial, elle revendait surtout celui de firmes indépendantes.

Cette expertise est coûteuse et elle n'avait pas un volume de prêts assez élevé pour en amortir les frais, raisonnait-elle.

Le problème de la Nationale s'est aggravé du fait que certains gestionnaires ont bourré ses fonds de ce PCAA non bancaire. Dans un cas, ce papier risqué représentait 40% de l'actif sous gestion!

Devant la ruée vers la banque qui se dessinait, le comité indépendant a examiné tous les scénarios avec Patricia Curadeau-Grou, première vice-présidente, finances risque et trésorerie.

Le comité a convenu que la Nationale prendrait à sa charge le papier commercial des particuliers et des clients commerciaux qui en détiennent un maximum de 2 millions de dollars. Mais elle a largué la centaine d'entreprises qui en détiennent plus.

La Nationale s'est justifiée en expliquant que ces entreprises qui comptent sur un chef de la direction financière sont des «investisseurs qualifiés». En simple, elles sont majeures et vaccinées.

La décision a néanmoins provoqué la colère du Groupe Jean Coutu et de Transat A.T., entre autres victimes collatérales du Québec inc.

Combien la Nationale aurait-elle dû débourser pour racheter le papier de toute sa clientèle d'affaires?

«Significativement plus», dit André Caillé, sans dévoiler ce montant. C'est au moins 560 millions de dollars, somme que la Nationale a mise à la disposition de ses clients dont les liquidités sont gelées.

«Si on avait racheté tout le monde, ce sont les actionnaires qui se seraient plaints, a ajouté André Caillé. En déterminant le cut-off, nous avons cherché le meilleur équilibre entre l'intérêt des actionnaires et celui de nos clients.»

Un équilibre qui n'est pas sans poser, comme l'appelle André Caillé, un «risque de réputation».

Surtout que le comité indépendant où siègent Bernard Cyr (entrepreneur), Marcel Dutil (Canam), Jean Gaulin (ex-Ultramar) et Roseann Runte (universitaire) a «décidé de ne pas faire d'exception» pour les dirigeants et initiés de la Nationale qui possèdent du PCAA.

«Ce sont des clients», dit André Caillé.

Toutefois, le conseil a immobilisé dans des fiducies le produit du rachat du papier commercial appartenant à Louis Vachon et à Ricardo Pascoe, entre autres dirigeants.

«Le comité indépendant veut savoir le dénouement final avant de déterminer quand et comment ils pourront disposer de cet argent.»

Bref, tant que le comité présidé par l'avocat Purdy Crawford n'aura pas rétabli le marché du papier commercial, le conseil conserve la clef du coffre-fort.

Le comité indépendant semble avoir agi selon les règles de l'art, compte tenu des conflits d'intérêts au sein du conseil et de la haute direction.

Il n'empêche que si Louis Vachon avait été un client d'affaires, son papier commercial n'aurait jamais été racheté par la Nationale.

Non seulement il en détenait pour plus de 2 millions, mais ce crack des produits dérivés et de la gestion du risque est plus que «qualifié»...

Ce qui pose un problème d'image pour la banque et son banquier en chef, qui auraient dû se garder une petite gêne, comme on dit.

Les grandes clientes de la Nationale ne retiendront pas que Louis Vachon a perdu sa prime de rendement en 2007, faute d'avoir atteint ses objectifs pour le bénéfice par action et la satisfaction de la clientèle.

Ils retiendront que Louis Vachon a récupéré tout son fric, et eux pas.