Réunis à Ottawa au cours de la fin de semaine, les membres du Parti vert du Canada ont élu une militante écolo de longue date, Elizabeth May, à la tête de leur parti.

Réunis à Ottawa au cours de la fin de semaine, les membres du Parti vert du Canada ont élu une militante écolo de longue date, Elizabeth May, à la tête de leur parti.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que Mme May a démarré sa carrière politique en lion, comme l'écrivait justement mon collègue François Cardinal, présent à l'événement. Son premier geste comme chef de parti a été de réclamer le retrait de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA).

Pour justifier sa position, Mme May explique que les Américains, parce qu'ils se sont battus " avec force " dans le dossier du bois d'oeuvre, ont réussi à " faire plier le Canada ". Dans ces conditions, l'accord de libre-échange est mort, et n'a plus sa raison d'être.

Certes, l'entente survenue entre les États-Unis et le Canada est loin d'être parfaite. Les entreprises forestières canadiennes récupéreront seulement quatre des cinq milliards versés aux Américains à titre de droits compensatoires. En revanche, l'entente met fin au plus long, au plus dur et au plus coûteux conflit commercial jamais livré entre les deux pays. Elle permet aux producteurs forestiers de respirer en paix et de reprendre leurs exportations sans être taxés à la frontière. Les provinces productrices ont approuvé l'entente, de même que la plupart des grandes entreprises forestières. L'enjeu a pris une tournure nettement politique, parce que c'est maintenant au tour de la Chambre des communes de l'approuver; le gouvernement Harper pourrait même tomber sur cette question.

Le Canada n'a pas obtenu tout ce qu'il voulait, mais il est hautement téméraire de conclure qu'il a plié devant les Américains.

En fait, sans l'accord de libre-échange tant honni par Mme May (et sans les comités mis spécialement sur pied pour régler les différends entre les deux pays), il y a de grands risques qu'il n'y ait pas eu d'entente du tout. Au contraire, tout indique, dans ce dossier, que les Américains continueraient d'imposer unilatéralement des droits compensatoires élevés.

Cela dit, il faudrait peut-être mettre les choses en perspective. Il s'est écrit beaucoup de choses sur le conflit du bois d'oeuvre, et c'est normal: il s'agit effectivement d'une guerre commerciale majeure. Les exportations canadiennes de bois d'oeuvre aux États-Unis dépassent les 10 milliards par année. Pour certaines régions, notamment en Colombie-Britannique et au Québec (respectivement premier et deuxième producteurs), c'est une question de survie.

Dix milliards, c'est énorme, mais cela ne représente tout de même qu'une goutte d'eau par rapport aux 369 milliards d'exportations canadiennes écoulées aux États-Unis l'an dernier. Le bois d'oeuvre, malgré toute l'attention médiatique dont il a fait l'objet, ne représente que 2,7 % des exportations au sud de la frontière. Autrement dit, plus de 97 % du commerce vers les États-Unis se déroule sans escarmouche.

Ce n'est pas tout.

Le libre-échange donne accès à un marché fabuleusement riche, et le suite des choses a limpidement démontré que le Canada en a largement profité.

L'accord avec les États-Unis a été signé en 1988, cela fait donc 18 ans. Pendant cette période, les exportations canadiennes au sud de la frontière ont pratiquement quadruplé, passant de 100 à 369 milliards en 2005. Certes, les importations ont aussi augmenté rapidement, passant de 83 à 259 milliards. Uniquement avec son voisin américain, le Canada a enregistré un surplus commercial de 110 milliards l'an dernier, contre 17 milliards avant le traité de libre-échange. Même en tenant compte de l'inflation, la progression est prodigieuse. Indexé à l'indice des prix à la consommation, le surplus commercial a bondi de 314 %.

Le Canada est traditionnellement déficitaire avec tous ses partenaires commerciaux autres que les États-Unis. Ainsi, en 2005, le déficit commercial du Canada dans l'ensemble de ses échanges internationaux (États-Unis exceptés) se situe à 45 milliards. Mais le surplus de 110 milliards réalisé avec les Américains permet d'éliminer ce déficit et de terminer l'année avec un surplus de 65 milliards.

Il saute aux yeux que l'excellente performance du Canada en matière de commerce international tient en grande partie à la proximité et à l'accessibilité au plus riche marché du monde.

Cela se traduit évidemment, de ce côté-ci de la frontière, par le maintien et la création de millions d'emplois. Lors des négociations sur le libre-échange, les opposants au projet ont brandi des épouvantails aussi démagogiques que terrifiants, dont certains semblent singulièrement comiques avec le recul du temps: les Américains achèteraient nos écoles et nos hôpitaux et les exploiteraient comme des entreprises privées, les armes à feu seraient en vente libre dans les villes canadiennes, le Québec serait obligé de démanteler des institutions comme la Caisse de dépôt et le Fonds de solidarité, et, surtout, des millions d'emplois seraient perdus.

Rien de tout cela ne s'est produit. Sur le front de l'emploi, c'est plutôt le contraire. Depuis la signature de l'accord de libre-échange, l'économie canadienne a créé 3,8 millions d'emplois, dont la majorité à plein temps. Le taux de chômage est aujourd'hui à son plus bas niveau en 30 ans.

Et c'est tout cela que la nouvelle lionne du Parti vert veut maintenant balancer à la poubelle?

Commerce entre le Canada et les États-UnisEn milliards de $ canadiens

1987

Exportations 100

Importations 83

Surplus 17

2005

Exportations 369

Importations 259

Surplus 1

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