Je ne sais pas si Alain Simard a un intérêt quelconque pour le minerai de fer, le cuivre et, plus largement, pour l'industrie des mines et des métaux, en pleine ébullition. Je ne sais pas s'il n'en a que pour Manu Chao et Angélique Kidjo.

Je ne sais pas si Alain Simard a un intérêt quelconque pour le minerai de fer, le cuivre et, plus largement, pour l'industrie des mines et des métaux, en pleine ébullition. Je ne sais pas s'il n'en a que pour Manu Chao et Angélique Kidjo.

Remarquez, cela vaut peut-être mieux ainsi. Parce que la lecture des pages financières pourrait lui donner des ulcères. Alcan est l'un des deux grands commanditaires du Festival international de jazz de Montréal. Or, les promesses de son nouveau propriétaire, Rio Tinto, pourraient bien ne pas survivre à la prochaine vague de fusions.

Comme vous le savez sans doute, Rio Tinto venait tout juste de mettre la main sur Alcan que BHP Billiton dévoilait son offre d'achat non sollicitée sur ce groupe minier australo-britannique. Cette transaction par actions monstre est évaluée à près de 130 milliards US, ce qui n'est pas loin d'équivaloir à l'actif net de l'ensemble de la Caisse de dépôt et placement du Québec! Or, BHP Billiton est déjà la plus grande entreprise minière de la planète.

L'influence du Québec sur un tel géant? Poser la question, c'est y répondre. Heureusement que le gouvernement du Québec avait conclu avec Alcan ce qu'il a nommé une "convention de continuité". En vertu de cette entente, le producteur d'aluminium doit conserver à Montréal un siège social décisionnel avec un plancher d'emplois. À défaut de quoi, le gouvernement pourrait priver son propriétaire de blocs d'énergie supplémentaires et d'électricité à un tarif préférentiel. Or, l'électricité à bas prix, c'est le nerf de la guerre de la production d'aluminium.

BHP ou tout autre acquéreur potentiel serait assez malavisé de se priver de l'électricité bon marché du Québec. Mais là s'arrêtent les contraintes imposées au propriétaire ultime de l'ancienne Alcan. Ainsi, il est loin d'être clair que les engagements que Rio Tinto a pris envers le Québec, pour mieux faire avaler la pilule, survivront à une autre transaction.

Lorsqu'elle a raflé Alcan, Rio Tinto a promis de créer une fondation dotée de 200 millions de dollars sur cinq ans. Cette fondation prendra le relais d'Alcan, qui avait pour politique de verser 1% de son bénéfice brut en dons, en bourses d'études et en commandites. Cela ne veut pas dire que BHP, dirigée de Melbourne et de Londres, supprimerait toutes les commandites d'Alcan du jour au lendemain; ce serait assez mauvais pour son image. Mais est-ce que BHP ou tout autre acquéreur serait aussi présent à Montréal et au Québec? Comme le veut le proverbe, loin des yeux, loin du coeur.

Le conte de fées

Une fusion de BHP et de Rio Tinto est-elle vraiment inéluctable? Pour la contrer, Rio Tinto a annoncé cette semaine des projets très ambitieux. Plus d'économies d'échelle avec Alcan, plus d'investissements pour accroître la production de minerai de fer, plus de cession d'activités, plus de dividendes pour les actionnaires

Mais il faut voir que son grand patron Tom Albanese n'a jamais formulé d'objection de principe à un mariage entre ces deux géants. Il a seulement dit que BHP n'allongeait pas assez de fric. Ainsi, la majorité des analystes financiers sondés par l'agence Reuters s'attendent à ce BHP ouvre son portefeuille pour ravir Rio Tinto, qu'elle convoite depuis plusieurs années déjà. Comme Alcan l'a encore une fois démontré, tout le monde a son prix

Qui dit grosse transaction dit souvent occasion. Dans ce cas, toutefois, ce n'est pas la production d'aluminium d'une super BHP-RIO qui ferait sourciller les autorités antitrust. Avec une part de marché de 3,5%, selon les données compilées par les consultants CRU, BHP Billiton n'est que le sixième producteur d'aluminium au monde. Les autorités de la concurrence s'inquiéteraient beaucoup plus de son contrôle sur le cuivre et le minerai de fer. Déjà, des producteurs d'acier en Chine, au Japon, en Corée et en Allemagne ont exprimé de sérieuses réserves sur la création de cette géante.

Bref, BHP ne serait probablement pas forcée de céder la division aluminium de RioTintoAlcan. Mais pourrait-elle s'en départir volontairement? Ne voudrait-elle pas alléger sa dette alourdie par celle de Rio Tinto, qui a payé Alcan en liquide? C'est le scénario de rêve évoqué par un lecteur de La Presse cette semaine. En remettant la main sur cet ancien "champion national", le Canada ne trouverait-il pas là une occasion de racheter son honneur?

C'est un beau conte de fées. Mais il n'a pas beaucoup de chance de se réaliser, estime Christian Van Houtte, PDG de l'Association de l'aluminium du Canada. "C'est un tellement beau morceau, avec de l'énergie en quantité: BHP ne l'achèterait pas pour s'en débarrasser." Bref, il faudra sans doute faire son deuil. Alcan sera l'avalée des avalés.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca