Afin de contourner les contraintes de la Loi sur les langues officielles et ainsi éviter de traduire les documents en français, le service des appels d'offres de Postes Canada a trouvé une stratégie efficace: dans le cadre d'un récent appel d'offres, les soumissionnaires devaient «exiger» que l'entente entre eux et la société d'État soit écrite en anglais. Rien de moins !

Afin de contourner les contraintes de la Loi sur les langues officielles et ainsi éviter de traduire les documents en français, le service des appels d'offres de Postes Canada a trouvé une stratégie efficace: dans le cadre d'un récent appel d'offres, les soumissionnaires devaient «exiger» que l'entente entre eux et la société d'État soit écrite en anglais. Rien de moins !

«The Contractor and the Corporation acknowledge that they have required this Agreement to be written in English. Les parties aux présentes reconnaissent qu'elles ont exigé que la présente entente soit rédigée en anglais.»

Tel est le libellé de l'article «51.Language» du cahier de charges (dont La Presse a obtenu copie) que les soumissionnaires de tout le Canada, y compris ceux du Québec, se devaient de respecter s'ils présentaient une offre de services lors de l'appel public lancé récemment par la Société canadienne des postes auprès des firmes de recrutement de personnel.

En passant, il s'agit ici d'un des plus gros appels d'offres lancés au cours des dernières années par Postes Canada. Requis pour une durée de cinq ans, cet appel de services porte sur le recrutement de personnel spécialisé dans la vente et le marketing pour les multiples bureaux de Postes Canada.

Intitulé «Request For Proposal ("RFP") No. 4206DMR For: RECRUITMENT SALES AND MARKETING», vous aurez deviné que le cahier de charges élaboré par Postes Canada aux fins de cet appel de soumissions a été rédigé uniquement en langue anglaise, à l'exception de la phrase mentionnée dans l'article «51.Language».

Une plainte

Ce cahier de charges unilingue anglais a notamment irrité un des candidats soumissionnaires, Michel Guay, président de la firme de recrutement de personnel St-Amour et associés, qui a des bureaux dans les grandes villes canadiennes.

«Comme Postes Canada est une société d'État du gouvernement fédéral, elle devrait respecter la Loi sur les deux langues officielles et ainsi permettre aux soumissionnaires francophones d'avoir accès à des cahiers de charges en français.»

«Je parle très bien anglais, dit-il. Mais dans un cahier de charges, il y a beaucoup de points techniques. Comme on sait, un mot peut parfois avoir diverses significations. Il suffit d'une petite erreur d'interprétation et vous êtes automatiquement éliminé. J'ai tenté d'avoir des explications de Postes Canada sur certains points et personne n'a été en mesure de me répondre.»

Finalement, Michel Guay a renoncé à participer à ce concours de Postes Canada, faute d'avoir pu obtenir des réponses en français à ses demandes de précisions concernant le cahier de charges, un document d'une quarantaine de pages.

Pourquoi la Société canadienne des postes n'a-t-elle pas présenté une version française du cahier de charges qu'elle a élaboré pour cet important appel de soumissions? «On reconnaît qu'on aurait dû le faire. Mais ça n'a pas été fait» Voilà la réponse laconique que le porte-parole de Postes Canada, François Legault, m'a donnée.

Cet appel d'offres sur le recrutement de personnel a pris fin le 18 décembre dernier.

Commissariat aux langues

J'ai demandé au Commissariat aux langues officielles si l'article " 51.Language " inclus dans le cahier de charges de Postes Canada contrevenait à la Loi sur les langues officielles.

Réponse de Robin Cantin, porte-parole du Commissariat: «C'est possible. Normalement, tous les documents de nature publique distribués à l'échelle nationale ou dans des régions bilingues doivent être disponibles dans les deux langues officielles. Cela dit, c'est bien difficile pour nous de donner une réponse définitive maintenant, car nous ne pouvons pas préjuger du résultat d'une enquête éventuelle qui pourrait être mise en marche à la suite du dépôt d'une plainte au Commissariat.»

M. Cantin nous renvoie à deux articles. En matière de communication du public (citoyens, entreprises, etc.) avec les institutions fédérales, l'article 21 de la Loi sur les langues officielles énonce: «Le public a, au Canada, le droit de communiquer avec les institutions fédérales et d'en recevoir les services conformément à la présente partie.»

Pour sa part, l'article 22 de la Loi ajoute: «Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que le public puisse communiquer avec leur siège ou leur administration centrale, et en recevoir les services, dans l'une ou l'autre des langues officielles. Cette obligation vaut également pour leurs bureaux auxquels sont assimilés, pour l'application de la présente partie, tous autres lieux où ces institutions offrent des services situés soit dans la région de la capitale nationale, soit là où, au Canada comme à l'étranger, l'emploi de cette langue fait l'objet d'une demande importante.»

La Société canadienne des postes est le sixième employeur en importance au Canada, employant quelque 70 000 personnes à plein temps et à temps partiel. C'est l'une des plus grandes sociétés d'État. Postes Canada aura desservi cette année plus de 32 millions de citoyens et plus d'un million d'entreprises et d'institutions publiques.