«Je te parie une bière qu'il ne dira rien», confiait en maugréant un collègue journaliste qui s'était levé aux aurores pour prendre le train de 7h pour Québec.

«Je te parie une bière qu'il ne dira rien», confiait en maugréant un collègue journaliste qui s'était levé aux aurores pour prendre le train de 7h pour Québec.

Je n'étais pas loin de penser la même chose, compte tenu de l'opacité légendaire de la Caisse de dépôt et placement du Québec.

Pourquoi aller voir Henri-Paul Rousseau à l'Assemblée nationale quand Bombardier annonce au même instant que Pierre Beaudoin succédera à son père Laurent?

Mais personne n'a perdu son temps à Québec hier. Le grand patron de la Caisse est passé au confessionnal du salon rouge. Et il a déballé son sac.

«Comme premier directeur de la Caisse, j'assume mes responsabilités», a dit d'entrée de jeu Henri-Paul Rousseau.

Les chiffres, vous les connaissez à l'heure qu'il est. Des investissements de 13,2 milliards de dollars dans ce fameux papier commercial adossé à des actifs (comme l'avait révélé La Presse), dont 1 milliard s'appuie sur des hypothèques américaines à haut risque.

Tellement risquées, d'ailleurs, que la Caisse choisit prudemment de faire une croix sur la moitié de cet investissement.

Le reste, c'est 12,2 milliards de papier commercial dont plus personne ne veut, même si les actifs sous-jacents sont de bonne qualité. Combien faudra-t-il en radier? Un petit 8%, comme l'a fait le Mouvement Desjardins? Ou un gros 25% comme l'a fait la Banque Nationale?

La fin de l'histoire n'est pas encore écrite. Henri-Paul Rousseau préfère attendre de la connaître plutôt que de supputer à voix haute.

«Ce serait imprudent de donner des chiffres», dit-il. Il a raison. Surtout que d'ici là, on saura si le comité piloté par l'avocat Purdy Crawford aura réussi à sauver cet obscur marché du papier commercial, et à quel prix.

Personne ne s'en souciait avant la crise de liquidité qui secoue les marchés boursiers depuis la mi-août.

Chose certaine, si ces investissements de 12,2 milliards sont seulement dévalués de 10%, la Caisse s'expose à une perte totale de 1,7 milliard de dollars. À 20%, on parle d'une radiation frisant les 3 milliards!

Ce serait donc une bourde de l'ampleur de Quebecor Média, un placement décrié pour lequel la Caisse calcule souffrir d'un manque à gagner de 2,9 milliards en date du 31 décembre dernier.

Les députés de la commission des finances publiques ont semblé désarçonnés devant cette transparence, eux qui prévoyaient faire face au barrage de l'imposant dirigeant.

Ils ressemblaient à des enfants affamés à qui l'on donnerait la clef d'un magasin de bonbons. Ils ont sauté sur l'occasion pour ramener le vieux débat sur la mission de la Caisse de dépôt et placement du Québec, qui est toujours d'actualité avec la vente du producteur d'aluminium Alcan cet été.

«Je suis prêt à passer la nuit avec vous», a dit Henri-Paul Rousseau. L'exercice aura finalement duré près de cinq heures sans aucune pause.

«On gagne à vous connaître!», a ironisé Gilles Taillon, critique finance de l'Action démocratique du Québec.

Les réponses franches et directes d'Henri-Paul Rousseau n'ont pas rassasié pour autant. Pourquoi la Caisse a-t-elle placé 40% de ses liquidités dans du papier commercial vendu par des boutiques indépendantes dont les arrières n'étaient pas assurés?

En comparaison, la Caisse de retraite des enseignants de l'Ontario (Teachers), à qui la Caisse de dépôt est toujours comparée, n'avait à peu près pas acheté de ce papier commercial.

Henri-Paul Rousseau s'est défendu de rechercher le rendement à tout prix, mais il était difficile de conclure autrement, faute d'une explication convaincante.

Le papier commercial adossé à des actifs rapportait un tout petit peu plus que les obligations du gouvernement tout en étant, on le sait aujourd'hui, beaucoup plus risqué.

Et pourquoi ne pas avoir fouillé un peu plus pour voir ce qui se cachait derrière ces placements réputés sûrs? Les hypothèques à risque aux États-Unis soulevaient des préoccupations bien avant que la crise n'éclate en août.

Si les grands clients d'affaires de la Nationale auraient dû savoir, c'est encore plus vrai pour la Caisse de dépôt!

«On gère des risques et il faut en prendre. Dans ce cas précis, on avait évalué le risque (que la crise américaine se répercute au Canada). On avait seulement sous-estimé la possibilité que cela arrive», dit Henri-Paul Rousseau.

Traduction: on s'est planté.

Les banques internationales se sont défilées. Et la Banque du Canada n'est pas intervenue, a plaidé le grand patron de la Caisse, avant d'admettre que, «dans ce métier, on juge les gens à la moyenne au bâton».

Faute avouée est à moitié pardonnée? On jugera Henri-Paul Rousseau quand on aura des chiffres plus précis, au début de l'année prochaine. Mais en attendant, il faudrait profiter de cette crise pour revoir la politique de communication de la Caisse.

Parlementaires comme journalistes se plaignent régulièrement (et c'est un euphémisme) d'être tenus dans le noir. Il est vrai qu'il est long et coûteux d'évaluer les placements immobiliers et privés de la Caisse.

Il est vrai que les comptes trimestriels déconcentrent les dirigeants, qui sont parfois plus préoccupés par les succès à court terme.

Cela dit, il est inacceptable que, dans une crise de cette ampleur, la Caisse ait attendu aussi longtemps (trois mois) avant de mettre cartes sur table.

La gestion des caisses de retraite de l'État est éminemment d'intérêt public.

Surtout qu'il n'y avait strictement rien dans les informations que Henri-Paul Rousseau a dévoilées mercredi pour faire dérailler le processus de restructuration.

Il ne s'agissait pas des renseignements que Purdy Crawford cherche à cacher des fonds de couverture, qui ont trait aux liens entre les banques internationales et les fiducies qui émettaient le papier commercial.

En bons vautours, ces fonds rêvent de faire dérailler le processus de restructuration pour récupérer de beaux morceaux à vil prix.

Henri-Paul Rousseau est arrivé à la Caisse il y a cinq ans en parlant d'une plus grande ouverture et transparence, mais il s'est rapidement engouffré dans la culture institutionnelle du secret.

L'ancien professeur a pourtant démontré avec aplomb mercredi qu'il savait simplifier le compliqué. Pourquoi le cacher?