Pour la deuxième fois, Jean Coutu a accroché son sarreau. Après être revenu à la barre du détaillant en difficulté voilà deux ans, le fondateur de la chaîne de pharmacies a profité de l'assemblée annuelle hier pour partir à la retraite.

Pour la deuxième fois, Jean Coutu a accroché son sarreau. Après être revenu à la barre du détaillant en difficulté voilà deux ans, le fondateur de la chaîne de pharmacies a profité de l'assemblée annuelle hier pour partir à la retraite.

«C'est le temps triste pour moi de lever l'assemblée», a dit Jean Coutu la voix étouffée par l'émotion.

L'entrepreneur de 80 ans n'a rien perdu de son acuité, même si son esprit semblait ailleurs tandis que son fils François Jean présentait aux actionnaires réunis au centre sportif de l'entreprise à Longueuil les grandes lignes du plan stratégique 2008-2010.

Tel un vieux lion, Jean Coutu a sorti ses griffes lorsqu'il a été question des 35,7 millions que le détaillant a investis temporairement dans du papier commercial adossé à des actifs, sur les conseils de la Banque Nationale.

Ces liquidités sont maintenant gelées en raison de la crise des prêts hypothécaires à haut risque aux États-Unis. Et le détaillant ignore si et quand il pourra recouvrer la totalité de cette somme.

«Il n'y a aucune raison de perdre un sou dans cela. Aucune raison», a tonné l'homme d'affaires aux origines modestes, qui n'exclut pas de poursuivre son banquier de toujours.

C'est aussi un second départ pour François Jean Coutu, 52 ans. Mais l'entreprise dont il reprend possession sans jamais l'avoir quittée est transformée par ses déboires aux États-Unis provoqués par l'achat de 1549 pharmacies Eckerd.

Le Groupe Jean Coutu ne compte plus un seul commerce aux États-Unis, alors que ses pharmacies américaines représentaient il n'y a pas si longtemps 86% de ses ventes.

L'entreprise de Longueuil est maintenant actionnaire de Rite Aid, le troisième pharmacien aux États-Unis derrière Walgreen et CVS. Et si sa participation de près de 32% lui donne une influence considérable, d'autant que le capital de Rite Aid est disséminé, il reste que le Groupe Jean Coutu n'a plus la main dans la pâte.

D'ailleurs, Michel Coutu, qui copréside le conseil de Rite Aid, ne s'est pas joint à son frère et à son père comme à l'accoutumée pour la conférence de presse.

Il faut dire que les derniers résultats du détaillant américain, qui a perdu près de 70 M$ US à son premier trimestre, ne donnent pas envie de pavoiser.

De toute façon, le Groupe Jean Coutu est impuissant à sortir l'industrie américaine de la pharmacie de son marasme, qui s'explique en bonne partie par un système de santé défaillant. Mais le patriarche a espoir que le vent tourne enfin.

«La population américaine veut avoir un système de santé: elle en a soupé de la guerre», dit Jean Coutu.

«La pression politique est telle que le prochain gouvernement, quel qu'il soit, devra enfin bouger, a renchéri François Jean Coutu, qui attendait ce moment... en 2004! Or, tout argent investi dans le système de santé finira par profiter aux pharmacies.»

Groupe Jean Coutu a trouvé de tout et même un ami en Michael Moore aux États-Unis!

Reste donc le Canada, lire le Québec pour l'essentiel. Pour reprendre une analogie de sport qu'affectionnent les gens d'affaires, la patinoire du nouveau président est beaucoup plus petite. Mais le défi reste énorme.

Le Groupe Jean Coutu doit sortir du Québec tout en protégeant ses arrières contre Shoppers Drug Mart, qui a fait une percée dans la belle province grâce, entre autres choses, à ses boutiques de cosmétiques haut de gamme.

Construire des pharmacies et embaucher des infirmières pour s'assurer que les traitements soient bien suivis, c'est une chose. Percer le marché de l'Ontario, c'est autre chose.

Il n'y a pas de grandes chaînes à vendre chez nos voisins. Il n'y avait que Shoppers Drug Mart et le Groupe Jean Coutu a loupé cette occasion lorsqu'elle s'est présentée il y a quelques années.

La seule possibilité, c'est donc d'acheter morceau par morceau de petits blocs de pharmacies appartenant à des propriétaires vieillissants. Ou bien de construire des pharmacies toutes neuves.

Mais là encore, il faut trouver des emplacements stratégiques, ce qui est beaucoup plus facile à dire qu'à faire, les détaillants de tout acabit étant toujours à l'affût de telles occasions.

Et puis il faudra trouver ce concept génial qui épatera les Ontariens. Le Groupe Jean Coutu y travaille, mais ses dirigeants n'ont pas soufflé mot sur ce à quoi cette pharmacie pourrait ressembler.

La seule chose qui est certaine, c'est qu'elle ne s'appellera pas Jean Coutu. Mais n'allez jamais dire à cet entrepreneur passionné que son nom s'efface.