Alors que Detroit lance des S.O.S. frénétiques et annonce le quasi-arrêt de ses usines canadiennes en janvier, la pression monte à Washington et à Ottawa pour secourir les trois géants nord-américains de l'auto.

La Maison-Blanche et le Trésor américain se disent maintenant prêts à puiser dans les fonds qui avaient été mis de côté pour venir en aide à l'industrie financière. Cette dernière ouverture fait suite au refus, par les républicains au Sénat, de consentir 14 milliards de dollars en prêts-relais aux trois constructeurs de Detroit.

Ce nouveau «bailout» déchaîne les passions d'un bout à l'autre de l'Amérique. Il soulève deux débats. Le premier est économique, le second, politique.

Est-ce que ces fonds d'urgence permettront aux trois grands de Detroit de se relancer véritablement? Ou est-ce que ces constructeurs reviendront quémander de l'argent à Washington d'ici quelques mois? Ne devraient-ils pas plutôt se restructurer à l'abri de leurs créanciers, en se servant de la loi américaine sur la faillite?

Enfin, le gouvernement américain peut-il laisser tomber l'industrie de l'auto après avoir secouru Wall Street? Et cela, même si les constructeurs automobiles ont joué à l'autruche avec leurs problèmes pendant des années.

Commençons par la relance. Les constructeurs font valoir qu'avec des fonds d'urgence, ils pourront tenir le coup jusqu'à ce qu'ils aient le temps de revoir leurs gammes de produits, d'abaisser leurs coûts et de réduire leur capacité de production.

Ils n'ont pas le choix. Avec la récession et le resserrement du crédit, General Motors s'attend à ce que les Américains achètent seulement 12 millions de véhicules neufs en 2009, comparativement à la moyenne de 17 millions de véhicules par an depuis 2000. Son scénario pessimiste s'établit même à 10,5 millions de véhicules neufs.

Mais la tâche que les constructeurs devront abattre pour réduire la taille de leurs entreprises obèses est herculéenne. Aussi, ils pourraient bien manquer de temps comme d'argent.

On a beaucoup parlé ces derniers jours des conditions salariales des travailleurs de l'industrie automobile. Les travailleurs américains ont fait des concessions importantes en signant leur dernier contrat de travail, mais celles-ci se sont faites sur le dos des nouveaux employés en vertu de clauses dites orphelin.

Les constructeurs américains s'attendent à ce que leurs coûts de main-d'oeuvre se comparent dans l'ensemble à ceux des constructeurs japonais en Amérique du Nord d'ici 2012. Mais encore faut-il que les travailleurs se renouvellent, par des rachats d'emplois et des préretraites, ce qui implique des débours importants.

Il n'y a pas que le coût de la main-d'oeuvre qui pose problème. Il y a la multiplication des marques de voitures et, par ricochet, le trop grand nombre de concessionnaires.

Prenons General Motors, le constructeur jugé le plus à risque, avec Chrysler pas très loin derrière. GM compte huit marques. Dans le plan de relance qu'il a présenté au Congrès, ce constructeur compte conserver Chevrolet, Cadillac, Buick, GMC et, dans une moindre mesure, Pontiac. Le sort des marques Hummer, Saab et Saturn est plus qu'incertain.

Moins de marques et moins de ventes se traduisent forcément par moins de concessionnaires. Par exemple, General Motors compte actuellement 6450 concessionnaires aux États-Unis, contre près de 1500 pour Toyota et 1000 pour Honda. GM prévoit en fermer plus du quart, dans les banlieues surtout, pour n'en conserver que 4700 d'ici 2012. Mais il n'est pas si simple que cela de renégocier ou de rompre ces contrats, qui sont protégés dans plusieurs États américains. Cela va coûter une fortune à GM.

De la même façon, les constructeurs possèdent des usines, des terrains et des bureaux. Ils ne pourront pas casser leurs baux et se départir d'une partie importante de leur parc immobilier en criant ciseau.

Voilà pourquoi les constructeurs qui épuisent leurs fonds devraient être contraints à se restructurer à l'abri de leurs créanciers, grâce aux mécanismes prévus dans le «chapter 11» de la loi américaine sur les faillites. D'ailleurs, dans la mesure où les consommateurs continuent de faire affaire avec des transporteurs et des commerces qui se restructurent, l'argument du grand patron de GM, Rick Wagoner, selon lequel les consommateurs seront plus réticents à acheter des véhicules ne tient pas très bien la route.

L'opération sera douloureuse, personne n'en doute une seconde. Mais elle sera plus rapide, tout en offrant une meilleure garantie de succès. On allège la dette - de 62 milliards US dans le cas de GM! On vend ou on ferme les divisions les moins performantes. On renégocie les contrats de travail avec les employés et les concessionnaires. Bref, on repart presque à neuf!

L'aide du gouvernement peut aller non pas vers des entreprises qui ont pris de mauvaises décisions, mais vers des retraités et des employés qui risquent de perdre leurs prestations de retraite ou leurs assurances santé. Ces assurances sont vitales dans ce pays où le filet de sécurité est trop relâché.

Mais il faut une bonne dose de courage politique pour laisser tomber l'un des trois grands de Detroit. Courage que la plupart des politiciens de Washington n'ont pas. (L'opposition des républicains du Sénat ressemble plus à de la vengeance politique contre le mouvement syndical pro-démocrate qu'à une réelle opposition de principe.)

Et admettons que c'est plutôt gênant de ne pas secourir les cols bleus de Detroit quand le gouvernement américain a lancé une bouée de sauvetage aux cravatés de Wall Street (exception faite de Lehman Brothers, bien sûr). La liste des bêtises commises par les banquiers et les courtiers n'est pas moins longue que la liste des erreurs des constructeurs automobiles.

Le président désigné Barack Obama l'a d'ailleurs parfaitement bien compris. Voilà pourquoi l'industrie automobile des États-Unis risque fort d'emprunter la route la plus longue, plutôt que le chemin le plus court.