Un mois à peine après avoir conclu une transaction de 3,4 milliards de dollars américains, la plus importante de son histoire sur le plan financier, le Groupe Jean Coutu recevait ses actionnaires et les gens des médias sur de petites chaises droites, dans le gymnase de ses employés.

Un mois à peine après avoir conclu une transaction de 3,4 milliards de dollars américains, la plus importante de son histoire sur le plan financier, le Groupe Jean Coutu recevait ses actionnaires et les gens des médias sur de petites chaises droites, dans le gymnase de ses employés.

Fidèle à ses traditions, l'entreprise tenait son assemblée annuelle à son siège social de Longueuil, dans le " 450 ". Faut quand même le faire. C'est ce qu'on doit appeler la manière Coutu.

Son éternelle blouse blanche sur le dos, Jean Coutu nous attendait dans une forme étonnante pour un homme de près de 80 ans.

D'un charisme redoutable, il allie avec brio intelligence et humour. Cet homme pourrait vendre du sable à des Touareg, tant il est convaincant et inspire confiance.

Derrière moi, des actionnaires visiblement conquis, riaient à chacune de ses blagues. La période de questions n'était pas encore amorcée que le patriarche avait gagné son audience.

Pourtant, cette assemblée aurait pu être orageuse. Elle survenait après que Jean Coutu eut jeté l'éponge et vendu ses activités américaines à Rite Aid, mettant un terme à l'aventure Eckerd. Une aventure coûteuse pour les actionnaires de l'entreprise montréalaise qui ont vu fondre de près de moitié la valeur de leur action.

À un actionnaire qui s'en plaint, Jean Coutu répondra qu'il le comprend, puisque lui aussi a énormément perdu d'argent.

Il lui expliquera de sa voix chaude que ce n'était pas ce qui était prévu dans le plan initial. Mais, avouera-t-il, la fiancée n'était pas celle qu'on nous avait présentée: " Les pharmacies Eckerd ont été laissées à l'abandon d'un point de vue des ressources humaines. Nous avons été surpris de voir que la qualité des employés n'était pas là. "

Jamais Jean Coutu ne voudra reconnaître que l'achat des pharmacies Eckerd a été une erreur. À la limite, il admettra que l'objectif poursuivi lors de l'acquisition des 1521 pharmacies n'était pas de se retrouver, deux ans plus tard, avec une participation de 32 % dans Rite Aid. Qu'à cela ne tienne, tant devant ses actionnaires, que plus tard en conférence de presse, l'accent sera mis sur l'aspect positif de la transaction avec Rite Aid. " Une transaction qui ne fait que des gagnants ", insistera Jean Coutu.

Plutôt que d'être propriétaire d'une chaîne de pharmacies régionale, fera-t-il valoir, le Groupe Jean Coutu se retrouve aujourd'hui avec un important bloc d'actions d'une chaîne nationale. À entendre les applaudissements de la salle après qu'un actionnaire l'eut félicité pour son travail, il était clair que l'homme au sarreau avait réussi à vendre la transaction avec Rite Aid.

C'est avec la même assurance que le fondateur des pharmacies Jean Coutu a répondu aux questions d'un représentant de CWT Investment Group, un groupe de Washington qui conseille les caisses de retraite de grands syndicats américains sur les questions d'éthique et de gouvernance des entreprises. CWT disait s'inquiéter de la réaction des autorités antimonopoles américaines.

Brishan Rogers, de CWT, a osé demander si l'entreprise s'était préparée à faire face aux exigences des autorités réglementaires. Dans sa réponse, Jean Coutu lui a pratiquement fait la leçon. Sachez que nous ne sommes pas des " juniors ", a-t-il dit en substance, ajoutant qu'il avait plus d'années d'expérience dans le secteur des pharmacies que son interlocuteur n'en avait d'âge. C'est ce qu'on appelle désamorcer un débat.

De toute évidence, l'homme s'était bien préparé. Il avait réponse à tout. Malgré sa performance, il subsiste toutefois des zones d'ombre. C'est le cas de la dette, par exemple. Même si on a fait valoir que les ratios d'endettement de Rite Aid demeureront au même niveau, une fois l'acquisition des activités américaines de Jean Coutu conclue, il n'en reste pas moins que ce niveau est élevé. Selon certains analystes, Rite Aid se retrouvera à peu près dans la même situation d'endettement que le Groupe Jean Coutu lorsqu'il a acheté Eckerd.

La transaction n'est pas sans risque, mais en vendant ses 1858 établissements à Rite Aid, le Groupe Jean Coutu a réussi sa sortie du marché américain. Reste à voir maintenant la suite des choses. Comment, par exemple, s'articulera l'expansion canadienne du groupe? Peu de détails ont été fournis hier.

Tout comme peu de détails ont été donnés sur la retraite prochaine du fondateur. Il apparaît assez évident que c'était sa dernière assemblée annuelle à titre de président de l'entreprise. Il aura donné toute une performance. C'était du grand Jean Coutu, LE Jean Coutu.

Mboisver@lapresse.ca

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