Heather Reisman a un charisme redoutable. Cette femme dégage une énergie contagieuse. Une heure passée en sa compagnie et on en ressort gonflée à bloc.

Heather Reisman a un charisme redoutable. Cette femme dégage une énergie contagieuse. Une heure passée en sa compagnie et on en ressort gonflée à bloc.

Heather Reisman, 57 ans, est la présidente-directrice générale et fondatrice de Indigo, la plus grande chaîne de librairies au Canada.

Son passage à Montréal, cette semaine, coïncidait avec l'ouverture d'un nouveau magasin à Brossard. Après l'avoir rencontrée, on en conclut que la plus grande force de la patronne d'Indigo est certainement cette capacité qu'elle a de communiquer et de faire partager les passions qui l'animent.

Elle reconnaît d'ailleurs qu'elle a un côté rassembleur. "J'aime partir d'une idée, la transmettre aux autres et la développer pour créer quelque chose de complètement nouveau. C'est un processus qui m'emballe."

Psychologue

Heather Reisman a grandi à Montréal, plus précisément à Mont-Royal. L'entrevue s'est d'ailleurs déroulée en anglais et en français. À ma grande surprise, c'est en psychologie qu'elle a étudié à l'Université McGill. "Les gens m'intéressent, ils sont d'une richesse incroyable. Le côté business me passionne, mais c'est le prolongement de mon intérêt pour les individus".

C'est comme travailleuse sociale qu'elle entrera dans le marché du travail. Intéressée par le milieu des affaires, elle se joindra à son frère qui exploite une entreprise d'informatique. Ce passage lui donnera le goût de se lancer dans la consultation. Elle fera ses premières armes chez Intergroupe, firme montréalaise qui avait pignon sur rue dans les années 70.

C'est d'ailleurs chez Intergroupe qu'elle rencontrera celui qui deviendra son mari. Heather Reisman est la femme de Gerry Schwartz, président-directeur général d'Onex Corporation, l'une des plus importantes entreprises au Canada "Gerry avait fait appel à ma firme pour l'aider à réaliser une acquisition. La transaction n'a pas eu lieu, mais il a finalement épousé la consultante. Ça lui a coûté beaucoup plus cher", ajoute-t-elle en riant.

De Paradigm à Cott

Heather Reisman suivra l'élu de son coeur à Toronto. En 1979, un ami et elle fonderont Paradigm Consulting, cabinet de gestion stratégique et de gestion du changement. "C'était la première entreprise-conseil au monde à se spécialiser dans ce domaine. Nous étions persuadés que l'adaptation aux changements serait parmi les grands défis des entreprises."

Cott sera l'un des clients de Heather Reisman. En 1992, elle quittera Paradigm pour devenir directrice générale de l'entreprise torontoise de boissons gazeuses. "J'avais envie d'aller vivre une expérience en entreprise. Je voulais tester ce que j'étais capable de faire."

Sous sa direction, la société connaîtra un essor incroyable. C'est elle qui pilotera l'expansion internationale de Cott. "Le chef de la direction de l'époque avait des idées fantastiques. Je l'ai aidé à les concrétiser. C'est le résultat d'un travail d'équipe."

Cet énorme succès ne l'empêchera pas de quitter Cott quelques années plus tard. "J'ai réalisé que j'aimais le travail en entreprise, mais que le produit ne me passionnait pas. J'avais fait le tour des boissons gazeuses."

L'aventure Indigo

L'année 1996 marque l'aboutissement d'un rêve. Elle lance Indigo Books & Music Inc. "J'ai toujours aimé les livres. J'ai gardé tous ceux que j'avais depuis que je suis toute jeune. Lire est une passion. Un bon livre nous transporte dans le temps et l'espace. Je viens de terminer un livre sur Louis XIV et ses femmes. Je l'ouvrais et je me retrouvais en France au XVIIe siècle."

Encore une fois, Heather Reisman innovera. Indigo a été la première chaîne de librairies canadienne à proposer à ses clients des sections musique et cadeaux, et à intégrer des cafés titulaires de permis dans ses magasins. "Je voulais offrir une expérience qui va au-delà du simple magasinage. Je souhaite que mes clients éprouvent un réel plaisir à venir chez nous."

En 2001, Indigo fusionne avec Chapters. Cette transaction aura mis du temps à se concrétiser parce qu'elle soulevait de nombreuses inquiétudes sur le plan de la concurrence. On craignait que l'entreprise fusionnée n'occupe une trop large part du marché du livre au pays. "Ç'a été plus long et plus compliqué que ce qu'on avait prévu, c'est vrai. Cela dit, je suis très satisfaite des synergies réalisées depuis 2001."

Aujourd'hui, Indigo compte près de 250 magasins et plus de 6000 employés. Son chiffre d'affaires dépasse 850 millions de dollars.

Oeuvres interdites

"À l'heure de la mondialisation, la culture est essentielle pour savoir qui l'on est." Heather Reisman déplore le peu d'importance que notre société accorde à cette activité qu'elle estime fondamentale.

Malgré le respect qu'elle porte aux créateurs, certaines oeuvres sont néanmoins interdites dans ses magasins. La politique d'Indigo proscrit trois types d'ouvrages: ceux qui encouragent la pornographie infantile, ceux qui expliquent comment fabriquer des bombes artisanales et ceux qui font de la propagande haineuse. C'est ainsi que Mein Kampf (Mon combat) d'Adolf Hitler a été retiré des tablettes en 2001, une fois la fusion avec Chapters achevée. Une décision qui a soulevé la controverse. À l'époque, Heather Reisman avait répliqué qu'elle dirigeait une entreprise privée et qu'elle avait le droit de choisir ce qui se retrouvait sur les tablettes de ses magasins. "Une partie de ma famille a été décimée par cet homme. Je refuse de vendre un livre qui incite au génocide. Un ouvrage semblable existerait sur le Rwanda et il serait interdit chez nous."

"Power couple"

À Toronto, où il habite, on qualifie le couple qu'elle forme avec Gerry Schwartz de "Power couple". Cette affirmation fait sourire Mme Reisman, qui dit ne pas vraiment comprendre la raison de cette épithète. "Nous travaillons fort mon mari et moi et nous nous engageons dans des causes qui nous tiennent à coeur, c'est tout." La grande patronne d'Indigo a beau faire preuve de modestie, il n'en demeure pas moins que son mari et elle ont beaucoup d'influence. Heather Reisman est, par exemple, membre du comité directeur de Bildeberg, groupe sélect composé de têtes couronnées européennes, de dirigeants politiques, de lobbyistes et de chefs d'entreprise. "Ce sont des gens influents qui se réunissent pour échanger sur des sujets qu'ils considèrent importants. Il ne faut pas voir là une quelconque conspiration."

L'été dernier, Gerry Schwartz et elle ont par ailleurs déchiré leur carte du Parti libéral, déçus de la position des libéraux fédéraux dans la crise au Proche-Orient. Hautement médiatisée, la décision du couple de grossir les rangs du Parti conservateur a eu un impact certain. Heather Reisman n'a pas voulu revenir sur cet épisode.

Pour l'amour de la lecture

La présidente d'Indigo est cependant beaucoup plus loquace lorsqu'on aborde la question du sous-financement des écoles publiques au Canada. "Dans plusieurs écoles, les bibliothèques sont d'une pauvreté à pleurer. Souvent, les livres sont plus vieux que les professeurs. Dans un pays riche comme le nôtre, c'est un scandale."

Mère de quatre enfants et grand-mère de cinq, Heather Reisman estime que les jeunes sont notre plus grande richesse. "Il faut s'en occuper, les former correctement, les encourager à lire."

Histoire de faire sa part, Heather Reisman a lancé, à la fin de 2004, le Fonds pour l'amour de la lecture. Sa mission est de doter les écoles dans le besoin de nouveaux livres et de matériel d'apprentissage. Ce fonds choisit chaque année 10 écoles au pays auxquelles il verse 150 000 $ pour l'achat de livres. "Je suis intimement persuadée qu'en mettant les jeunes en contact avec la lecture, ils vont prendre goût aux livres. Du coup, leur performance scolaire va s'améliorer et ils auront une plus grande confiance en eux."

Au Québec, les écoles primaires Riverview, de Verdun, et Butler, de Bedford, ont reçu l'aide de cette fondation. La première étape est de regarnir les bibliothèques des écoles. Ces dernières ont 10 ans pour dépenser l'argent. La seconde étape sera de convaincre les gouvernements d'investir davantage. Heather Reisman entend ainsi suivre de près l'évolution des écoles qui recevront son aide. "Je veux placer les gouvernements devant la preuve que les livres sont un outil d'apprentissage essentiel."

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