Désormais, au Canada, vous pouvez emprunter pour acheter une maison mais ne payer que les intérêts sur l'hypothèque pendant les cinq ou 10 premières années.

Désormais, au Canada, vous pouvez emprunter pour acheter une maison mais ne payer que les intérêts sur l'hypothèque pendant les cinq ou 10 premières années.

Dans un communiqué commun avec la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL), First National, une institution financière spécialisée dans les prêts hypothécaires résidentiels, se réjouissait lundi d'être parmi les premiers prêteurs canadiens à offrir le prêt hypothécaire avec paiement des intérêts seulement.

First National vante les mérites de ce nouveau concept qui " permet aux acheteurs admissibles de réduire leurs mensualités hypothécaires et d'améliorer leurs liquidités d'un mois à l'autre ". On a presque l'impression d'avoir remporté le gros lot, d'autant plus que ce prêt est assuré par la SCHL!

Il n'y a pas à dire, ce produit est très alléchant. Tous ceux qui veulent s'acheter une propriété, mais qui ont besoin d'une plus grande flexibilité pour rembourser risquent de se laisser séduire. C'est justement ce côté très attirant qui fait sourciller. Jusqu'où cette accessibilité accrue au crédit ne devient-elle pas une incitation à l'endettement à outrance? First National et la SCHL ont beau souligner que les emprunteurs doivent répondre aux critères établis pour l'obtention d'une hypothèque ordinaire de 25 ans, où l'on doit rembourser intérêts et capital, la première impression demeure: ce genre de produit financier donne l'illusion à des gens qu'ils sont plus riches qu'ils ne le sont en réalité.

Prenons l'exemple fourni par l'établissement financier. Pour un prêt hypothécaire à taux fixe standard d'un terme de cinq ans et d'un montant de 175 000 $, la mensualité au taux actuel de 5,3 % est d'environ 1050 $. Dans le cas d'un prêt où l'on ne paie que les intérêts, le versement diminue à 765 $. La différence est importante! On parle de 285 $ par mois et de 3420 $ par année. Comme argument de vente supplémentaire, First National précise que ces montants libérés pourraient servir à cotiser à un régime enregistré d'épargne-retraite ou à payer des droits de scolarité. C'est beau en principe. Mais ce qui risque d'arriver, c'est que l'argent dégagé servira à dépenser encore plus.

Qu'un établissement financier cherche à conquérir une plus vaste clientèle en introduisant de nouveaux produits n'a rien de bien surprenant. C'est dans la nature même de la bête. Mais qu'une institution fédérale comme la SCHL participe à son lancement laisse perplexe. Cette société a beau avoir le mandat de favoriser l'accès au logement pour tous les Canadiens, on peut se demander si elle ne pèche pas par excès de zèle en acceptant d'assurer des prêts hypothécaires comme ceux offerts par First National.

La SCHL prétend que cette formule novatrice ne facilite pas l'accès au crédit à des gens qui d'ordinaire n'y aurait pas droit, puisque les critères d'admission sont les mêmes que pour un prêt conventionnel. Mais pourquoi alors cautionner ces prêts si les gens qui les contractent auraient pu emprunter autrement? En quoi donc ces nouveaux produits répondent-ils à la mission de l'institution, si les emprunteurs concernés avaient déjà accès à la propriété?

Le malaise que cette annonce suscite est d'autant plus grand qu'elle survient au moment où la santé de l'économie américaine inquiète. Une situation qui aura certainement des répercussions de ce côté-ci de la frontière. Le ralentissement économique est bel et bien amorcé chez nos voisins du Sud et l'hypothèse d'une récession fait maintenant partie des scénarios envisagés. De l'avis de tous, c'est le secteur immobilier qui est au coeur de la tourmente.

Après le boom des dernières années, boom encouragé par un accès au crédit sans pareil, on se demande si ce secteur connaîtra un atterrissage en douceur ou si on assistera à l'explosion d'une bulle. Comme l'économie américaine a carburé aux dépenses de consommation, dépenses financées par la plus-value des maisons, une baisse des prix de l'immobilier risque de freiner l'ardeur de consommateurs lourdement endettés. Ce scénario n'est déjà plus du domaine de la fiction, puisque le prix des maisons existantes a bel et bien baissé en août aux États-Unis, une première en 11 ans. Comment les consommateurs réagiront-ils? C'est là toute la question.

Bien sûr, la situation de l'immobilier au Canada est différente. On parle ici d'un ralentissement de la croissance des prix et non d'une baisse. Que l'immobilier soit en meilleure condition ici ne nous prémunira pas contre le ralentissement américain. L'économie canadienne va écoper.

Voilà pourquoi il vaudrait peut-être mieux y penser à deux fois avant de céder aux avances des institutions financières. Certains produits peuvent sembler très séduisants sur le coup, mais, quoi qu'en dise la SCHL, ils pourraient devenir lourd à porter, si la conjoncture venait à changer.

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