Tout le monde le sait: les régions se vident. Tout le monde le sait aussi: Montréal est victime de l'effet de «trou de beigne», c'est-à-dire que la banlieue grossit au détriment de la ville-centre.

Tout le monde le sait: les régions se vident. Tout le monde le sait aussi: Montréal est victime de l'effet de «trou de beigne», c'est-à-dire que la banlieue grossit au détriment de la ville-centre.

Ces changements démographiques, même s'ils sont bien connus, atteignent toutefois une ampleur phénoménale. C'est ce qu'indiquent une nouvelle série de données que vient de publier l'Institut de la statistique du Québec.

L'organisme a réalisé une compilation démographique étalée sur 35 ans, pour chacune des 17 régions administratives du Québec. Cela permet de mettre des chiffres sur l'exode vers la banlieue ou le dépeuplement des régions périphériques.

Les résultats sont saisissants. En fait, il n'est pas exagéré de dire que pendant la période étudiée, le paysage démographique québécois a vécu des perturbations majeures.

Entre 1971 et 2005, la population du Québec est passée de six à 7,6 millions, une augmentation de 26%. C'est beaucoup moins que dans le reste du Canada, où on a observé une hausse de 56% pendant la même période.

Il en résulte forcément que le poids démographique du Québec est en déclin constant: les Québécois, qui comptaient pour 28% de la population canadienne en 1971, n'en font plus que 23 %.

Jusqu'au début des années 90, l'accroissement naturel, c'est-à-dire la différence entre les naissances et les décès, ajoutait en moyenne 48 000 nouveaux petits Québécois à la population de la province.

Depuis, ce chiffre a chuté dramatiquement, atteignant même un plancher de 16700 en 2002. Cela n'est plus suffisant pour compenser les pertes au chapitre des migrations interprovinciales. Pour maintenir tant bien que mal (et plutôt mal que bien) son poids démographique, le Québec doit donc compter sur l'immigration internationale. Voilà, en gros, le portrait d'ensemble.

Or, toutes les régions du Québec n'ont pas été touchées de la même façon. Au contraire: les différences régionales atteignent des proportions spectaculaires.

Comme on s'en doute, les régions périphériques sont touchées par un véritable exode. Entre 1971 et 2005, la population de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine est passée de 116 000 à 96 000 habitants, une saignée de 20 000 personnes, en grande majorité des jeunes découragés par le peu de perspectives d'avenir dans une région qui a érigé l'assurance-emploi en mode de vie.

Ainsi, en une période de temps relativement courte, la région a perdu 17% de sa population. C'est une authentique catastrophe.

La Gaspésie représente le pire cas, mais la situation n'est pas tellement plus rose ailleurs. Dans l'ensemble des régions périphériques, c'est-à-dire l'Abitibi-Témiscamingue, le Saguenay-Lac-Saint-Jean, la Côte-Nord, la Gaspésie et le Bas-Saint-Laurent, on observe une pitoyable stagnation démographique, et même un léger déclin: en 35 ans, la population totale de ces régions est passée de 869 000 à 855 000.

On a vu que le Québec, pendant la même période, a connu une hausse de 26%. Résultat: les régions ressources représentaient près de 15% de la population québécoise en 1971; cette proportion a fondu à 11% en 2005.

Dans le cas du Saguenay-Lac-Saint-Jean, les chiffres sont trompeurs. Toujours pendant la même période, la population de la région a augmenté de 3,5%. Progression nettement inférieure à la moyenne québécoise, mais progression tout de même.

Or, dans les années 70 et 80, l'économie régionale se portait plutôt bien; à l'époque, la population est passée de 266 000 à 292 000, une avance de 10 %, chiffre fort honorable pour une région périphérique.

Mais depuis 1991, notamment avec le marasme dans l'industrie forestière, le Saguenay-Lac-Saint-Jean traverse une période difficile. Ainsi, depuis 15 ans, la région a perdu 17 000 citoyens, et rien n'indique que la tendance soit sur le point de s'inverser.

L'autre grande perdante, c'est Montréal, c'est-à-dire, selon le découpage administratif du Québec, l'île de Montréal. En 35 ans, Montréal a perdu 85000 citoyens. En 1971, un Québécois sur trois habitait l'île; aujourd'hui, cette proportion est passée à un sur quatre.

Cette érosion s'est produite au profit de la banlieue, où la croissance démographique atteint des niveaux démentiels: 139% dans Lanaudière, 111% dans les Laurentides, 65% en Montérégie et 62% à Laval. Ensemble, ces quatre régions comptaient en 1971 pour 25% de la population québécoise, contre 35% aujourd'hui.

Autrement dit, la banlieue montréalaise absorbe la quasi totalité de la faible croissance démographique du Québec, ne laissant pratiquement rien à Montréal et aux autres régions (sauf l'Outaouais, qui tire bien son épingle du jeu à cause de la proximité de la capitale fédérale et de ses bons emplois).

Ces données sont inquiétantes.

L'érosion du poids démographique du Québec, à l'intérieur du Canada, n'est pas une bonne nouvelle. L'exode accéléré des jeunes des régions périphériques est une tragédie. Enfin, l'effet de trou de beigne et l'étalement urbain qui grugent Montréal, la ville-centre, sont des phénomènes fondamentalement malsains.