Vendredi prochain, George Cope prendra possession du bureau de Michael Sabia, qui tire sa révérence après six années rock&roll à la tête de BCE.

Vendredi prochain, George Cope prendra possession du bureau de Michael Sabia, qui tire sa révérence après six années rock&roll à la tête de BCE.

Le fauteuil du grand patron est encore chaud et humide tellement Michael Sabia en a bavé depuis un an pour compléter la vente de l'entreprise montréalaise à un consortium d'investisseurs piloté par Teachers', la caisse de retraite des enseignants de l'Ontario. Cette dernière année a ainsi pris les allures d'un steeple-chase olympique.

On dira ce qu'on voudra de Michael Sabia, qui a impatienté les investisseurs tandis qu'il tentait de virer ce gros paquebot de Bell Canada, mais au final, il aura réussi à vendre BCE au prix fort. À 51,7 milliards de dollars, cette transaction est la plus importante acquisition par emprunt de l'histoire.

Il n'est même pas acquis que George Cope, un Ontarien de 46 ans qui habite la région de Toronto avec son épouse et ses trois enfants, déménage à Montréal. «Bonne question», s'est contenté de répondre Mark Langton, porte-parole de BCE. Cela augure mal pour le siège social de Montréal; un bureau de direction sans président, cela ne dirige pas fort.

Mais, s'il ne sait pas encore où il s'établira, George Cope sait précisément où BCE s'en ira. Voilà neuf mois que les futurs propriétaires ont désigné ce diplôme en administration de l'Université Western Ontario pour relancer Bell Canada. Voilà neuf mois qu'il ronge son frein, tandis que son champ d'action se limitait, pour l'essentiel, à gérer de façon serrée la société de télécoms pour en tirer un maximum de profits. Une grossesse pénible.

Dès vendredi, donc, George Cope dévoilera les grands pans de son plan de match, qu'il a mis au point avec un cercle fermé de personnes, dont Jim Leech, le nouveau grand patron de Teachers' qui parie sa présidence sur la relance de Bell Canada. «Il y aura du détail», promet Mark Langton. Pour l'heure, toutefois, c'est l'un des secrets les mieux gardés au Canada.

Dire que les attentes sont énormes tient de l'euphémisme. Après des années de tergiversations et de demi-mesures, durant lesquelles BCE a tenté de se convertir en fiducie de revenu avant de se résoudre à se vendre, les observateurs de l'industrie s'attendent à ce que BCE déplace de l'air.

Le choix de George Cope est révélateur de l'accent que les futurs propriétaires mettront sur le sans-fil. En effet, si George Cope n'a que trois ans d'expérience chez Bell, c'est l'un des Canadiens les plus expérimentés et révérés de l'industrie.

George Cope a présidé Clearnet pendant 13 ans, soit jusqu'à la vente de cet opérateur sans-fil à Telus en 2000, au plus fort de l'euphorie techno. Il a ensuite pris les commandes de Telus Mobilité jusqu'à ce que Bell Canada le ravisse, à l'automne 2005, ce qui avait été unanimement salué comme un grand coup.

Clairement, Bell Canada cherchera à retrouver le premier rang qu'elle occupait dans le sans-fil jusqu'à ce que la société torontoise Rogers la détrône. Et cela, au moment où de nouveaux concurrents se pointent avec la vente aux enchères de spectre actuellement menée par Industrie Canada.

Au dernier décompte, Rogers comptait 7,4 millions d'abonnés, alors que Bell n'en dénombrait que 6,3 millions.

Le succès de Rogers tient en partie au fait que ses appareils fonctionnent avec la norme GSM, la plus populaire dans le monde, à l'exception de l'Amérique du Nord. C'est ainsi que les téléphones portables de Rogers fonctionnent même à votre atterrissage à Paris ou à Pékin, alors que votre téléphone de Bell est kaputt.

Est-ce que Bell Canada investira des centaines de millions pour se construire un réseau GSM, à l'exemple de la société américaine Verizon qui a largué le standard CDMA comme une vieille cassette Betamax? Et comment est-ce que BCE financera cet investissement au moment où elle devrait aussi investir une fortune dans la mise à jour de son vieux réseau filaire de cuivre?

Question internet, en effet, la haute vitesse de Bell Canada est beaucoup plus lente et coûteuse que celle de Vidéotron, qui bénéficie des prouesses technologiques du câble coaxial. Mais installer de la fibre optique jusqu'à toutes les maisons représente un investissement qui se calcule en milliards de dollars.

La privatisation de BCE permettra certes à l'entreprise d'économiser sur les dividendes qu'elle versait à ses actionnaires. Sur un an, cela représente 1,2 milliard de dollars. Mais cela ne suffira pas.

BCE vendra-t-il Bell ExpressVu? La réponse n'est pas aussi évidente que dans le cas de Télésat, cette spécialiste des satellites dont BCE s'est délestée l'année dernière. Même si ExpressVu plafonne, ce distributeur télé permet à Bell Canada d'offrir un bouquet de services, une simplicité recherchée par nombre de consommateurs

Voilà les choix fondamentaux auxquels Bell Canada se trouve confrontée.

Jusqu'à maintenant, Rogers, Vidéotron et les autres câblos semblent avoir remporté la grande bataille des télécoms. Mais dans cette industrie où le changement se mesure en mois et non plus en années, rien n'est irréversible.

À preuve la critique essuyée par Rogers, qui vient de dévoiler ses tarifs pour l'utilisation d'un téléphone iPhone, que l'entreprise torontoise offre en exclusivité au Canada. Ces forfaits qui sont plus salés que leurs équivalents américains ont provoqué la colère de consommateurs. Ainsi, le site Ruined iPhone.com («screwing Canadian iPhone customers since '08»!), qui vient de lancer une pétition, 33 852 personnes ont déjà manifesté leur mécontentement!

Bref, la bataille des télécoms n'est pas jouée. Mais dans le piètre état dans lequel Bell se trouve, George Cope n'a pas le droit à l'erreur.