Les budgets se suivent et ne se ressemblent pas. Autant le ministre fédéral des Finances, Jim Flaherty, semble sur le pilote automatique, autant son homologue québécoise, Monique Jérôme-Forget, paraît animée par un sentiment d'urgence.

Les budgets se suivent et ne se ressemblent pas. Autant le ministre fédéral des Finances, Jim Flaherty, semble sur le pilote automatique, autant son homologue québécoise, Monique Jérôme-Forget, paraît animée par un sentiment d'urgence.

L'économie américaine est vraisemblablement déjà en récession. Il serait illusoire de penser -comme le veut la fameuse théorie du «découplage», de plus en plus discréditée- que le Québec s'en sortira indemne.

Dans le contexte, pas question de rembourser la dette avec des milliards en surplus qui, au demeurant, sont inexistants à Québec. Avec une croissance révisée à seulement 1,5% pour l'année en cours, il y a péril en la demeure.

Non seulement faut-il encourager l'investissement et recycler les travailleurs, victimes collatérales du dollar élevé et de la concurrence internationale, mais il faut aussi sauver les meubles ou, du moins, tenter de rescaper l'industrie du canapé.

Cette différence d'approche est flagrante dans le cas de l'aide au secteur manufacturier. L'une des mesures les plus importantes de ce budget est l'élimination immédiate de la taxe sur le capital des entreprises manufacturières. Cette taxe aberrante décourage l'investissement.

Les entreprises qui en sont complètement dispensées sont celles pour qui le manufacturier représente au moins la moitié de leurs activités -elles sont 6200.

Cette décision privera le gouvernement de plus de 220 millions de dollars par an au cours des deux prochaines années. C'est plus que le petit coussin de 200 millions que la ministre Jérôme-Forget a constitué de peine et de misère.

Le Québec n'aurait pas les moyens de faire ce geste s'il n'abolissait pas du même coup le crédit de taxe sur le capital des entreprises manufacturières. Mais ce n'est pas blanc bonnet, bonnet blanc.

Ce crédit de taxe récompensait seulement les entreprises qui investissaient en équipement de fabrication et de transformation. L'abolition de la taxe sur le capital pour les sociétés manufacturières profite en revanche à toutes: celles qui investissent comme celles qui n'en ont plus les moyens.

Monique Jérôme-Forget manifeste ainsi une sensibilité aux difficultés que traversent les industries forestières et autres qui auront du mal à traverser cette tempête d'une sévérité inégalée dans l'histoire récente. Sensibilité que l'on ne retrouve pas chez Jim Flaherty.

Si certaines entreprises perdent au change, elles pourront toutefois se reprendre avec le nouveau crédit d'impôt à l'investissement pour entreprises manufacturières -à l'exception des producteurs d'aluminium, qui sont déjà fort choyés! Ce crédit de 5% peut atteindre 20%, 30% et même 40% selon l'éloignement de la région.

Plutôt que de créer un crédit d'impôt à l'investissement, le gouvernement aurait dû réduire le taux général d'imposition des sociétés. C'est la conclusion sans équivoque à laquelle en vient l'économiste Pierre Fortin, qui préside le Groupe de travail sur l'investissement des entreprises.

Son rapport a été dévoilé hier alors que les journalistes épluchaient les imposants volumes du plan budgétaire et des crédits, et ce n'est peut-être pas un hasard...

Si ce crédit peut avoir du bon pour canaliser l'investissement en région, son efficacité pour susciter de nouveaux projets n'a jamais été démontrée, concluent les chercheurs qui ont étudié les expériences menées de Kennedy à Bush aux États-Unis.

Avant de consentir un investissement important, les entreprises considèrent non seulement les conditions présentes, mais celles qui prévaudront au cours des 10, 20 ou 30 prochaines années. Or, les crédits d'impôt à l'investissement sont tout sauf durables.

En plus, il y a le risque que les fabricants de machinerie accaparent une partie du crédit en réclamant des prix plus élevés. Enfin, les investissements en machinerie ne sont pas le seul moyen d'augmenter la productivité d'une entreprise. Il y a les changements organisationnels, la créativité scientifique, la formation du personnel, etc.

C'est ce qui fait dire au groupe de travail que «le crédit d'impôt et les autres dispositions relatives à l'investissement sont un panier de crabes».

En revanche, Monique Jérome-Forget endosse presque entièrement au récent rapport du Groupe de travail sur les aides fiscales aux régions ressources et à la nouvelle économie, présidé par Robert Gagné. Et c'est une excellente nouvelle en ce qui concerne les technologies de l'information.

Monique Jérôme-Forget enterre pratiquement le concept de Cité du multimédia qui avait fait des petits un peu partout au Québec du temps de Bernard Landry. C'est la fin de sites désignés à salaires subventionnés qui ont engendré une série d'effets pervers, comme des loyers artificiellement élevés et des déplacements d'emplois à l'intérieur même du Québec.

En 2006, d'après les estimations du gouvernement, 55% des 22 000 emplois sur ces sites désignés consistaient en des emplois «délocalisés»!

Québec ne remet pas en question les crédits d'impôts remboursables dans les technologies de l'information, même si leur efficacité est douteuse. Toutefois, le gouvernement étend leur application à l'ensemble de la province tout en diminuant leur générosité et en resserrant les critères d'admissibilité.

Plus question de soutenir les entreprises qui créent un centre d'administratif pour leur back-office! Québec appuiera les entreprises qui développent des logiciels, qui conçoivent des solutions de commerce électronique, qui innovent quoi.

À l'image de ce budget, c'est la fin de la récré.