C'est sa taille qui frappe d'abord. Lorsque Robert Brown se lève pour nous saluer, on s'aperçoit à quel point il est grand et costaud. Âgé de 61 ans, il incarne la force tranquille.

C'est sa taille qui frappe d'abord. Lorsque Robert Brown se lève pour nous saluer, on s'aperçoit à quel point il est grand et costaud. Âgé de 61 ans, il incarne la force tranquille.

Nommé président et chef de la direction de CAE il y a deux ans, Robert Brown se dit plutôt content du boulot accompli. Sous sa houlette, CAE, fleuron de l'aéronautique québécoise, chef de file mondial des simulateurs de vol, a repris du poil de la bête.

Pourtant, sa nomination n'avait pas été accueillie avec un enthousiasme délirant par les milieux financiers. L'action de CAE avait même baissé de 1,6 % au lendemain de l'annonce. Les investisseurs n'avaient pas complètement digéré les déboires de Bombardier, où Robert Brown avait passé 15 ans de sa vie, dont les quatre dernières à titre de président avant de démissionner en 2002.

Il n'aime pas revenir sur le sujet. Ce qu'il dira sur Bombardier est qu'il est fier de ce qu'il a fait. " J'ai été une des personnes clés dans la création de Bombardier Aéronautique. " Rendons à César ce qui appartient à César: c'est vraiment lui qui est derrière les succès des jets régionaux et la montée fulgurante de Bombardier Aéronautique dans les années 90. " Il faut avoir confiance en soi ", a-t-il simplement répondu quand je lui a demandé sa réaction au scepticisme du marché à l'époque.

Il a quand même hésité quand l'offre de CAE est arrivée. " Ils ont eu besoin de deux ou trois fois pour me convaincre. Je ne savais pas si ça valait la peine pour moi de retourner. Après avoir discuté avec Red Wilson, le président du conseil de CAE, j'ai finalement décidé de considérer son offre. " Red Wilson a convaincu Robert Brown qu'il était l'homme de la situation, celui qui pouvait sortir CAE de l'impasse où elle se trouvait. " CAE était à un tournant de son histoire et j'ai décidé d'y aller. " Fortement ébranlé par les contrecoups du 11 septembre, le numéro un mondial des simulateurs de vol avait besoin de redresser la barre.

Robert Brown n'a pas tardé à agir. Une de ses premières décisions sera de rapatrier le siège social de l'entreprise à Montréal. " J'habite Montréal et ça n'avait aucun sens pour moi de faire la navette à Toronto. En plus, c'était une façon de sauver de l'argent et d'être plus proche des opérations. " Près de 3000 des 5000 employés que comptent CAE sont à Montréal. En fermant le siège social de Toronto, Robert Brown faisait d'une pierre deux coups: il ramenait CAE à ses racines- elle a vu le jour dans la métropole en 1947- tout en économisant 1,5 million de dollars.

Natif d'Angleterre, mais élevé dans la région d'Ottawa, Robert Brown a tenu à ce que l'entrevue se déroule entièrement en français: " Quand tu vis à Montréal, parler français est important. "

Une fois aux commandes, Robert Brown a rapidement élaboré un plan de restructuration. Il en dévoilait la teneur huit mois après son arrivée. C'était un plan douloureux, qui impliquait 450 pertes d'emplois, dont 350 à Montréal. Le nouveau patron de CAE en était conscient, mais, selon lui, c'était la seule chose à faire. " Quand tu prends une décision comme celle-là, tu affectes beaucoup de monde et tu prends des risques. Mais, il est nécessaire de prendre des risques pour obtenir des résultats. "

Systématique, Robert Brown savait exactement où il allait: " Dans une restructuration, il est nécessaire de sécuriser le bilan. La structure financière, c'est la base. La deuxième chose, c'est au niveau des coûts. Il faut s'assurer qu'il soit possible d'être concurrentiel. La troisième chose, c'est chercher à stimuler la croissance. La seule façon de faire dans une boîte comme CAE, c'est en investissant dans la technologie. Je pense qu'on a fait du travail assez bon. "

L'homme est visiblement modeste. Accomplir autant en si peu de temps est remarquable. CAE réalise maintenant un flux de trésorerie positif. L'endettement a été réduit de 95,6 millions de dollars, passant de 285,8 millions à la fin de l'exercice 2005 à 190,2 millions. Le temps de fabrication et de livraison d'un simulateur de vol Airbus A320 est aujourd'hui de 14 mois, six mois de moins qu'avant son entrée en fonction.

Cet ancien militaire n'est cependant pas du genre à se reposer sur ses lauriers. La restructuration pratiquement complétée, la croissance est maintenant à l'ordre du jour.

Robert Brown mise beaucoup sur la recherche et le développement (R&D), nerf de la guerre d'une entreprise comme la sienne. Il veut trouver d'autres utilisations aux technologies développées à l'interne. L'expertise de CAE dans les simulateurs pourrait-elle être adaptée à d'autres secteurs que l'aéronautique, comme la santé ou la sécurité?

CAE vient à cet effet de lancer le projet Phoenix. Un projet ambitieux qui vise des investissements en R&D de 630 millions de dollars sur six ans. De cette somme, 220 millions de dollars viennent des deux gouvernements. " Cet appui est essentiel parce que nous n'avons pas la base militaire domestique pour nous soutenir, précise Robert Brown, comme c'est le cas pour nos concurrents étrangers. "

Le développement de nouveaux marchés comme la Chine et l'Inde fait aussi partie des plans de Robert Brown. " On a déjà des clients en Inde qui ont acheté des simulateurs. Je pense qu'on peut faire plus pour la formation des pilotes, des choses comme ça. J'espère pouvoir faire des annonces concrètes dans les prochains mois. "

Le grand patron de CAE garde également contact avec les grandes lignes aériennes nord-américaines actuellement en restructuration. " Lorsque American Airlines et United recommenceront à commander des avions, je veux qu'elles se rappellent CAE. "

Deux ans à peine après son entrée en poste, Robert Brown se dit satisfait. " La base est solide. On a beaucoup d'idées, une très bonne équipe. Je suis assez positif. "

Sur les marchés, le scepticisme a fait place à l'enthousiasme. L'action a bondi de plus de 78 % depuis sa nomination.

Avec le recul, éprouve-t-il un certain plaisir à avoir, comme le capitaine Bonhomme, confondu les sceptiques? " Je ne pense pas à ça, assure-t-il. Je suis content. Je ne m'occupe pas de ça. " Il ne s'en occupe peut-être pas, mais il rajoute quand même: " Je l'ai fait. "

Mboisver@lapresse.ca

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