Qui serait assez fou pour racheter TQS?

Qui serait assez fou pour racheter TQS?

Il suffit de jeter un coup d'oeil aux résultats financiers de la chaîne télé pour voir à quel point sa situation est désespérée.

Depuis que Cogeco et BCE ont repris TQS des mains de Quebecor, en 2001, les résultats du soi-disant mouton noir tirent sur le rouge sanguinolent.

En cinq ans, le bénéfice d'exploitation de 11,9 M$ de 2002 s'est transformé en perte de 5,5 M$. En déduisant l'amortissement et les impôts, la perte nette pour l'an dernier totalise 18,1 M$ sur des revenus de seulement 103,7 M$. Ouf!

Cela, c'est avant même que ne termine l'entente d'affiliation entre TQS et Radio-Canada, en mars 2009. La fin de ce contrat, en vertu duquel des stations régionales de TQS (Sherbrooke, Trois-Rivières, Saguenay) rediffusent des émissions de la société d'État, alourdira de 5 millions supplémentaires les pertes de la chaîne, estime la direction de TQS.

Bref, il faut reposer la question. Qui sera assez fêlé du chaudron pour engloutir des millions dans ce puits sans fond?

Apparemment, même les causes désespérées ont leur champion. En effet, si personne ne voulait toucher à l'entreprise avec une perche de cinq mètres l'automne dernier, la situation a changé depuis que TQS s'est mise à l'abri de ses créanciers.

Un acheteur peut maintenant l'acheter pour la somme symbolique de un dollar tout en résiliant les contrats de TQS et en remboursant une fraction des créances de plus de 68 millions de dollars.

«Plusieurs parties intéressées se sont manifestées», dit Gilles Robillard, du cabinet comptable RSM Richter. Certaines sont de celles qui ont consulté les livres de TQS à l'automne, à la suite de la mise en vente de la chaîne, soit Corus, RNC Media, Rogers Media et Transcontinental.

Mais il y a aussi de nouveaux venus, précise Gilles Robillard.

La protection de la Cour vient à échéance dans une semaine, mais TQS pourrait réclamer une prolongation si certains prétendants sont sérieux.

D'après nos informations, Corus et Transcontinental ne sont plus de la course, même si Rémi Marcoux, président du conseil de l'imprimeur, a jonglé avec l'idée de racheter la chaîne en compagnie de Normand Legault (Grand Prix du Canada) et de Claude Charron (éditeur de La Semaine).

Restent Rogers Media et RNC Media, mieux connu sous son ancien nom de Radio Nord Communications. Ce sont les acheteurs dits «stratégiques» pour TQS. En effet, la chaîne n'intéresse pas Gesca, éditeur de La Presse.

Les deux entreprises profitent de l'expérience de routiers de TVA. Le président des Éditions Rogers au Québec, Marc Blondeau, était vice-président, information et affaires publiques, chez TVA. Quant à Raynald Brière, grand patron de RNC Media, il a présidé le Groupe TVA.

L'intérêt de RNC Media est évident, puisque l'entreprise est propriétaire des stations TQS en Outaouais et en Abitibi.

Toutefois, cette entreprise à capital fermé ne dispose pas des moyens financiers du puissant groupe torontois Rogers. RNC Média devrait donc se trouver des partenaires.

Quant à Rogers, il vient d'acquérir cinq stations Citytv. TQS pourrait compléter son réseau, surtout que la chaîne québécoise s'était inspirée à l'origine du concept innovateur de Citytv.

Les droits de diffusion des Jeux olympiques de 2010 et de 2012 de TQS pourraient aussi intéresser Rogers, propriétaire de la chaîne spécialisée Sportsnet.

Néanmoins, les synergies restent limitées entre des diffuseurs de langues différentes, à preuve les liens relâchés entre TVA et la station torontoise SUNTV, acquise par Quebecor en 2004. Au mieux, cela facilite l'achat des droits de certaines émissions.

Rogers et RNC Media ne sont seuls sur les rangs. Avec son côté glamour, la télé exerce toujours une certaine fascination. Des investisseurs québécois essaient ainsi de se regrouper pour racheter TQS, d'après nos informations.

La manoeuvre n'est pas sans rappeler le rachat des Expos par Jacques Ménard, Jean Coutu, Paul Delage Roberge, entre autres personnalités du Québec inc.

Le nom du propriétaire de l'hôtel St-James, Lucien Rémillard, a circulé, mais il n'est pas certain que cet homme d'affaires qui a fait fortune dans la gestion des déchets soit encore intéressé -il n'a pas rappelé mardi.

Ses fils Maxime et Julien dirigent Remstar, un producteur de films et de télé.

Dans un contexte de concurrence féroce avec TVA, Radio-Canada, Astral et des diffuseurs internet, tout repreneur de TQS aura besoin de trois choses en quantité industrielle: du fric, de la patience et de la chance.

D'après les comptables Richter, tout acheteur devra investir entre 18 et 25 millions en équipements pour diffuser en haute définition d'ici 2011, comme l'exige le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC).

Surtout, il devra s'assurer de conserver les services de l'animateur vedette Jean-Luc Mongrain, qui porte TQS sur ses épaules.

Il devra redéfinir la mission floue de la chaîne, qui a valsé entre la téléréalité et les affaires publiques, entre l'opinion qui se voulait mordante et la bonté. Quand c'est une société d'État qui diffuse Les Bougon, comment prétendre au surnom irrévérencieux de mouton noir?

Tous les gens de télé sont persuadés qu'ils pourraient faire mieux que Cogeco, qui a laissé TQS dépérir après avoir convoité la chaîne pendant des années. Mais même le gestionnaire le plus talentueux aura besoin de l'appui du CRTC.

Pour que TQS renoue avec la rentabilité, il faudrait que le Conseil revoie les conditions de licence de TQS pour qu'elles soient moins astreignantes et coûteuses. C'est loin d'être acquis.

La chance des 650 employés et contractuels de TQS, c'est qu'il se trouvera sans doute un investisseur pour tenter sa chance, pour lancer les dés. Et ce sera reparti pour quelques années...