L'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) était estomaquée en apprenant hier matin que le fonctionnaire qui lui était «généreusement» prêté par le ministère des Finances fait face à 93 accusations criminelles pour son rôle dans l'affaire Norbourg. Mais la journée lui a réservé une autre surprise...

L'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) était estomaquée en apprenant hier matin que le fonctionnaire qui lui était «généreusement» prêté par le ministère des Finances fait face à 93 accusations criminelles pour son rôle dans l'affaire Norbourg. Mais la journée lui a réservé une autre surprise...

L'OACI ignorait encore que Jean Renaud, 40 ans, fait l'objet d'une enquête depuis 2005 par le ministère du Revenu. Ce fonctionnaire s'était lancé à son compte après avoir obtenu un congé sans solde en janvier 2004. Mais Revenu Québec avait rapidement soupçonné sa firme, Expert-conseil inc., d'avoir «demandé indûment des crédits d'impôt» associés à l'industrie du commerce électronique.

C'est La Presse qui a appris la nouvelle à l'OACI, en fin d'après-midi.

«Nous n'en étions pas informés. Nous avions pris pour acquis qu'un fonctionnaire de ce niveau-là avait fait l'objet de vérifications. Je suis étonné», a dit le porte-parole de l'OACI, Denis Chagnon, sous le choc.

Dans un communiqué anodin diffusé en janvier 2005, Revenu Québec précisait que Jean Renaud fera «l'objet d'une attention particulière en ce qui a trait au rôle qu' (il a) joué». Notez que le ministère n'insistait pas sur le fait que le Jean Renaud en question – nom commun s'il en est – était un employé de l'État.

C'est pourquoi le ministère des Finances ne souhaitait plus avoir Jean Renaud dans ses bureaux à son retour d'un congé sans solde, a expliqué la ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget, à La Presse hier.

«Comme il était soupçonné par le ministère du Revenu, a-t-elle dit, vous comprenez qu'aux Finances, on ne pouvait pas prendre quelqu'un qui risquait d'être condamné, c'est évident.»

Mais il y a plus. Encore méconnu du public, Jean Renaud est depuis longtemps associé à Norbourg. Expert-conseil travaillait presque exclusivement pour cette firme qui a dérobé 115 millions de dollars à 9200 investisseurs avant que les policiers ne ferment la boutique en août 2005.

Dans un document déposé en Cour supérieure en octobre 2006, le syndic dans la faillite de Norbourg, RSM Richer, notait que Jean Renaud jouait un rôle «obscur» chez le gestionnaire de fonds. Il se rapportait exclusivement à son fondateur, Vincent Lacroix, qu'il avait connu à l'Université de Sherbrooke.

Selon le syndic, Jean Renaud avait aidé Lacroix à «camoufler le fait que les millions de dollars dépensés par le Groupe Norbourg provenaient en réalité de la dilapidation des fonds communs de placement mis sur pied par ce dernier». Comme affirmation, ce n'est pas banal.

Et il y avait cette déclaration-choc de Vincent Lacroix, qui a affirmé sous serment, lors d'un interrogatoire mené en octobre 2006, avoir versé un pot-de-vin de 100 000 $ à Jean Renaud. Ce montant équivaut à 10 % de la subvention de près de 1 million de dollars que Québec a versée à Norbourg en 2001 pour encourager l'industrie du placement!

La crédibilité de Vincent Lacroix a beau être mince, il y avait de quoi s'inquiéter.

Bref, le ministère des Finances ne voulait plus voir ce fonctionnaire louche à des kilomètres de ses bureaux. Mais il n'a eu aucun scrupule à le prêter à l'OACI. Depuis le 5 juillet 2007, a indiqué Denis Chagnon, Jean Renaud était assigné à la comptabilité de projets.

«Il n'y avait pas d'accusations et l'information était publique : c'était à l'OACI de décider si elle le voulait ou pas», s'est défendue Monique Jérôme-Forget. Puis son chef de cabinet, Philippe Dubuisson, a précisé que le ministère ne pouvait pas renvoyer Jean Renaud en raison de la présomption d'innocence.

Apparemment, cette présomption ne tient plus quand on fait face à 93 accusations de fraude, de fabrication de faux et de blanchiment d'argent, Jean Renaud ayant été viré hier...

Jean Renaud a-t-il versé à Norbourg une aide financière plus importante que celle à laquelle la firme avait droit en échange d'un pot-de-vin? La question a son importance quand on se rappelle que, sans cette aide, versée à l'automne 2001, la Commission des valeurs mobilières du Québec s'apprêtait à forcer la fermeture de la firme déficitaire.

Ce n'est pas la Gendarmerie royale du Canada qui peut éclaircir ce mystère. Même si son équipe intégrée des marchés financiers compte des membres de la Sûreté du Québec, la GRC a bureaucratiquement choisi de ne pas fouiller cette histoire, qui se rapporte à un délit «de juridiction provinciale», a expliqué l'officier Yves Roussel.

Monique Jérôme-Forget affirme de son côté que le sous-ministre Jean Houde a révisé le dossier Norbourg et que tout s'est fait dans les règles. Mais les doutes subsisteront dans l'esprit des victimes de Norbourg qui réclament à cor et à cri une enquête publique.

Voyez le portrait. Une firme dirigée par des anciens employés de la Caisse de dépôt et placement du Québec qui se construit à vitesse folle, en gobant des firmes (dont une filiale de la Caisse) avec des fonds de provenance inconnue. Une entreprise qui reçoit une aide financière d'un gouvernement qui souhaite développer coûte que coûte l'industrie québécoise du placement. Le fonctionnaire aux Finances responsable de ladite aide qui conseille le président de la firme pendant son congé sabbatique.

Deux employés de l'Autorité des marchés financiers (AMF), le gendarme de l'industrie, qui se joignent à la firme, dont l'enquêteur chargé de son dossier. Et une AMF qui ignore «par accident» l'alarme sonnée par l'agence fédérale chargée de surveiller le blanchiment d'argent. Est-ce que j'en oublie?

Pour la première fois hier, la ministre Monique Jérôme-Forget a reconnu qu'il y aurait peut-être lieu de faire une enquête publique mais que le gouvernement a les poings liés. «Je veux bien faire une enquête, mais je ne vois pas comment on pourrait parler, compte tenu du recours collectif (d'investisseurs floués) qui a été intenté contre l'AMF.»

L'affaire Norbourg démontre à quel point l'intégrité de l'État a été compromise. Et quelle que soit la couleur de son gouvernement, rouge comme bleu, c'est la pire chose qui puisse arriver.