Quel que soit le groupe qui finira par racheter BCE, il est presque acquis que le vieux conglomérat des télécoms sera retiré de la cote de la Bourse de Toronto.

Quel que soit le groupe qui finira par racheter BCE, il est presque acquis que le vieux conglomérat des télécoms sera retiré de la cote de la Bourse de Toronto.

Tous les consortiums pressentis ont à leur bord un grand fonds d'investissement privé: Kohlberg Kravis Roberts & Co., Blackstone Group, Cerberus Capital Management, Providence Equity Partners.

Or, la privatisation est l'une de leurs marques de commerce.

Aussi est-il ironique que ces fonds se lancent maintenant en Bourse. Après Fortress Investment Group, premier fonds de couverture américain à se négocier à la Bourse de New York, c'est au tour de Blackstone de vouloir danser sur le parquet new-yorkais.

Pour les méchantes langues, c'est un signe irréfutable que le cycle haussier en Bourse a terminé sa course. Si ces financiers, qui sont passés maître dans l'art d'acheter et de liquider au bon moment, se vendent, il y a des bonnes chances que les acquéreurs se fassent pigeonner!

Loin de moi l'idée d'évaluer ces titres, je laisse cela aux courtiers. Mais l'occasion est bonne de lever le voile sur ces fonds d'investissement qui ont cultivé le secret pendant des années, au premier chef Blackstone, un acteur incontournable. Aussi, la lecture des documents que ce fonds a rendus publics pour expliquer ses activités aux investisseurs (le prospectus dans le jargon) est instructrice.

Autant en profiter, puisque Blackstone n'entend pas se découvrir souvent. La firme new-yorkaise s'est constituée en société en commandite, ce qui lui permet de se soustraire à plusieurs des exigences de transparence et de régie d'entreprise de la Bourse new-yorkaise.

Ainsi, Blackstone n'aura pas à tenir d'assemblée annuelle pour ses petits actionnaires. La firme new-yorkaise ne sera pas obligée non plus de se doter d'un conseil composé d'une majorité d'administrateurs indépendants. Les patrons de Blackstone ont toujours fixé leurs propres salaires, et l'appel à l'épargne du public n'y changera rien.

À cet égard, toutefois, personne ne pourra taxer Blackstone d'hypocrisie. Alors que dans plusieurs entreprises ouvertes, la démocratie de l'actionnariat n'est qu'une façade, Blackstone s'affiche sans complexe comme une «dictature» capitaliste.

Les petits porteurs ne pourront pas choisir les administrateurs. Ils ne pourront pas congédier la firme qui gère Blackstone, propriété de ses 57 associés principaux. Et sur les rares questions où les actionnaires seront consultés, les associés auront, dans les faits, un poids qui leur conférera un droit de veto.

Bref, les petits actionnaires n'auront à peu près aucune influence, c'est écrit en toutes lettres.

Blackstone ne changera pas ses vieilles habitudes. Dans cet esprit, la firme précise qu'elle ne précipitera aucune transaction pour embellir ses résultats trimestriels. Ses résultats financiers pourraient donc fluctuer beaucoup, prévient la firme -ce qui excuse merveilleusement toute contre-performance, soit dit en passant.

Aussi, Blackstone déconseille-t-elle l'achat de son titre aux investisseurs pressés, de même qu'à ceux qui rêvent d'une prime de prise de contrôle. Blackstone s'est munie d'une dragée toxique pour contrer toute offre d'achat hostile. Cela prend un raider pour en reconnaître un.

Si Blackstone est connue pour ses rachats d'entreprises, elle oeuvre dans trois autres créneaux, précise le prospectus: l'immobilier; la gestion d'actif non conventionnelle (fonds de couverture (hedge funds), fonds d'obligations à haut risque); et la consultation en fusions et en restructurations.

Son actif sous gestion s'élève à 78,7 milliards US, alors qu'il frisait les 14 milliards il y a cinq ans, pour une croissance annuelle composée de 39,5 %.

Blackstone réussit à attirer des investisseurs richissimes, des caisses de retraite aux fortunes privées. Ses rendements époustouflants expliquent pourquoi. En immobilier, Blackstone affiche un rendement annuel moyen de 29,2 % depuis 1991, déduction faite des frais de gestion.

Les rachats d'entreprises rapportent moins, mais à 22,8 % par an depuis 1987, ce rendement reste à des années lumières de ce que vous pourriez accomplir avec vos fonds communs de placement!

Comment Blackstone fait-elle pour dénicher de belles occasions? Blackstone cultive ses relations avec les banques d'affaires et autres intermédiaires, ce qui lui permet d'identifier des transactions avant le lancement d'appels d'offres.

L'équipe de 400 experts en investissements de Blackstone compte aussi sur son écurie de PDG. En effet, même après liquidé un investissement, Blackstone conserve des liens avec les dirigeants qu'elle a croisés. Ces cadres de haut niveau lui refilent des tuyaux, l'aident à analyser des industries et représentent la firme dans des conseils d'administration. Ils forment un véritable think tank.

Identifier les occasions, c'est une chose, encore faut-il savoir les exploiter. Pour obtenir des rendements supérieurs lors de rachats d'entreprises, Blackstone emploie la technique de l'achat adossé.

Pour financer une acquisition, le groupe investit un minimum de capitaux et emprunte le reste en donnant en garantie l'actif de l'entreprise ciblée.

Ces emprunts consistent généralement en obligations à rendements élevés, surnommées obligations de pacotille (junk bonds). Cette technique maximise les gains mais, inversement, accroît significativement les risques courus par les fonds.

Blackstone et consorts ont eu beaucoup de facilité à financer leurs transactions en ces années de taux d'intérêt bas. Mais si les autorités monétaires serrent la vis, les choses pourraient changer.

Est-ce la crainte de Blackstone? À tout événement, Blackstone compte se servir du produit de son émission d'actions pour rembourser les emprunts sur sa marge de crédit renouvelable, de 1 milliard de dollars. Les emprunts d'un taux d'intérêt moyen de 6,13 % s'élevaient à 430 millions de dollars au 31 décembre dernier.

Mais en attendant une éventuelle hausse de taux, Blackstone et compagnie poursuivent leur magasinage effréné. Les rachats d'entreprises par des fonds d'investissement privé ont totalisé 907 milliards US en 2006, selon Thomson Financial.

Cela représentait 25,5 % des transactions de fusions et d'acquisitions conclues l'an dernier. Et tout indique que la croissance en flèche observée depuis l'an 2000 se poursuivra cette année.

Le problème, c'est qu'avec tous ces fonds éléphantesques qui recherchent des entreprises à racheter, certains finiront par payer trop cher ou par acheter des citrons impossibles à restructurer.

Aussi, il n'est pas certain que les fonds pourront maintenir leurs profits -et leurs actions! En 2006, le bénéfice net de Blackstone s'élevait à 2,3 milliards, en hausse de 70 % sur celui enregistré en 2005. Mais cela, comme je vous disais plus tôt, c'est à votre courtier de vous en parler.