En misant 7,5 milliards US sur la banque américaine Citigroup, le fonds souverain d'Abu Dhabi a attiré l'attention sur un phénomène qui prend de l'ampleur.

En misant 7,5 milliards US sur la banque américaine Citigroup, le fonds souverain d'Abu Dhabi a attiré l'attention sur un phénomène qui prend de l'ampleur.

Les fonds étatiques du Moyen-Orient et d'Asie - riches de plus de 2000 milliards US en capitaux - investissent de plus en plus dans le monde industrialisé, s'offrant une partie de joyaux tels Sony, Airbus et la Bourse de Londres.

Noël est arrivé tôt à Wall Street où, la semaine dernière, le gratin financier américain accueillait à bras ouverts des Rois mages venus d'Orient.

Mais au lieu d'encens, de myrrhe et d'or, le fonds d'investissement souverain Abu Dhabi Investment Authority (ADIA) a offert des billets verts américains: 7,5 milliards, plus précisément, afin de renflouer le géant Citigroup, qui pourrait accuser des pertes de 11 milliards US en relation avec la crise du «subprime». Pour son geste «généreux», ADIA obtiendra à terme jusqu'à 4,9% de la première banque américaine.

Comme tout roi digne de ce titre, ADIA est riche, très riche. Il est le principal fonds d'investissement souverain au monde, avec un encours de 875 milliards US.

Électronique, places boursières, transport maritime, casinos, aviation... les fonds étatiques d'Asie et des Émirats arabes s'immiscent partout. Et ils sont costauds.

Selon le Fonds monétaire international, l'actif des fonds contrôlés par l'État dépasse les 2000 milliards US et atteindra les 10 000 milliards US d'ici 2012.

Ce bas de laine représente déjà 1,3% de l'actif financier de la planète (actions, obligations, dépôts bancaires), selon la banque britannique Standard Chartered. Or, d'ici 10 ans, leur part du gâteau atteindra 5%.

L'argent du pétrole

Les poches pleines de pétrodollars, les fonds souverains du Moyen-Orient sont particulièrement actifs ces temps-ci. Alors que le brut frôlait récemment les 100$US le baril, Qatar, Dubaï et Abou Dhabi rivalisent d'opportunisme, ciblant des proies affaiblies ou des occasions de croissance.

L'émirat d'Abou Dhabi, le plus riche des sept États des Émirats arabes unis, vient de réaliser plusieurs grosses opérations aux États-Unis.

Fin septembre, ADIA a acquis 7,5% de Carlyle, l'un des plus gros fonds d'investissement américains. Il est également entré à hauteur de 8% dans AMD, numéro deux mondial des microprocesseurs derrière Intel.

Les fonds étatiques sont aussi au coeur de la consolidation boursière. En septembre, Dubaï et le Qatar ont acquis respectivement 28% et 20% de la Bourse de Londres.

Borse Dubaï, détenue par l'émirat, est en voie de racheter la Bourse nordique OMX, pour la revendre au Nasdaq, dont il prendrait en échange 19,9%.

Dubaï est aussi devenu un géant maritime en rachetant, via DP World, le britannique P&O. Et via un autre fonds, Dubaï International Capital, l'émirat vient de prendre une bouchée (un peu moins de 5%, selon des sources) du japonais Sony.

Les pétrodollars vous ouvrent vraiment toutes les portes. Cet été, un fonds de Dubaï achetait plus de 3% d'EADS, propriétaire de l'avionneur Airbus, en plus d'investir 5 milliards US dans le groupe américain de casinos MGM Mirage.

L'État capitaliste

La Chine n'est pas en reste. Par le biais du fonds étatique China Investment (200 milliards US d'actif), le pays communiste a payé cet été 3 milliards US pour un peu moins de 10% du très capitaliste fonds privé américain, Blackstone.

Toutes ces transactions feront sourire certains, qui y verront un ironique retour des choses. La mondialisation devait donner un élan à l'économie de marché, au secteur privé. Mais voilà que des gouvernements, par le biais de leurs fonds souverains, figurent parmi les prédateurs les plus voraces de la planète.

Plus de 20 pays ont de tels fonds. Or, ce pouvoir dérange, surtout dans les milieux politiques.

Le secrétaire au Trésor américain, Henry Paulson, exige plus de transparence et demande que les fonds souverains ouvrent leurs livres. L'économiste américain Jeffrey Garten, de l'Université Yale, suggérait récemment de limiter à 20% la participation des fonds étatiques dans les entreprises occidentales.

L'Allemagne et la France, de leur côté, songent à encadrer les transactions des fonds souverains dans des secteurs névralgiques, comme la sécurité et l'énergie. Et l'Union européenne a été invitée à intervenir. Bref, des levées de boucliers s'organisent.

Entre-temps, Wall Street s'éveille au nouveau capitalisme étatique qui, malgré les apparences, ne fait pas de cadeau. Parlez-en à Citigroup.

ADIA a exigé un rendement annuel de 11% pour son investissement en obligations, que le fonds peut convertir à la mi-2009 en actions de Citigroup à un prix d'à peine 15% supérieur au cours de lundi dernier, le plus bas en cinq ans.

Un taux de 11%, c'est le genre de rendement exigé pour les obligations de pacotille, les pauvres «junk bonds», soulignent des analystes.

Pour un symbole américain de la finance comme Citigroup, c'est plutôt gênant.

Accueillir un émir à sa table pour les Fêtes est un grand honneur. Mais ça coûte cher.