Il y a eu le producteur de pâte SKF Pâte l'an dernier. Il y a eu le géant du papier journal AbitibiBowater au printemps. Et cette semaine, c'était au tour du fabricant de jouets Mega Brands de s'accrocher à la bouée de sauvetage de 64 millions de dollars lancée par Fairfax Financial.

Il y a eu le producteur de pâte SKF Pâte l'an dernier. Il y a eu le géant du papier journal AbitibiBowater au printemps. Et cette semaine, c'était au tour du fabricant de jouets Mega Brands de s'accrocher à la bouée de sauvetage de 64 millions de dollars lancée par Fairfax Financial.

La «magnanimité» de Fairfax Financial est bien connue en Ontario, où l'on épie les moindres gestes de cette société torontoise et de son grand patron, Prem Watsa. Mais au Québec, ce champion des entreprises en détresse reste méconnu.

Cela fait parfaitement l'affaire de Fairfax, dont les dirigeants fuient les caméras et les micros.

Il n'y a pas si longtemps, les dirigeants de Fairfax n'accordaient pas d'entrevue. Voilà pourquoi Prem Watsa est invariablement présenté dans la presse torontoise comme un homme secret et même reclus - une fausseté, selon son collègue Paul Rivett, qui le décrit comme très sociable.

Mais la seule façon pour un investisseur d'avoir l'heure juste était d'assister à l'assemblée annuelle de Fairfax. Encore aujourd'hui, cette entreprise inscrite à la Bourse de Toronto et à la Bourse de New York n'émet aucune cible financière, pas plus qu'elle n'organise de tournée de promotion auprès des investisseurs institutionnels.

Toutefois, Fairfax s'est ravisée depuis deux ans après avoir connu une série de déboires. En effet, autant Fairfax cherchait à se faire discrète, autant elle a défrayé la chronique.

Fairfax collectionne les assureurs de dommages et les réassureurs au Canada, aux États-Unis et ailleurs, comme en Inde et en Jordanie. Comme il s'agit d'assureurs commerciaux pour l'essentiel, ces entreprises sont peu connues du grand public.

En 2007, année record, Fairfax a encaissé un profit net de 1,1 milliard de dollars sur un chiffre d'affaires de 7,5 milliards de dollars.

En 2005 et en 2006, toutefois, on ne donnait pas cher de Fairfax. La société qui investit dans des entreprises en perdition éprouvait elle-même des problèmes et a dû se résoudre à vendre certains meubles.

La Securities&Exchange Commission (SEC), le gendarme de la Bourse aux États-Unis, a aussi assigné Fairfax et Prem Watsa à comparaître dans le cadre d'une enquête portant sur des produits de réassurance non traditionnels (du finite reinsurance en anglais) qui sont aussi faciles à comprendre que des caractères chinois. Cette enquête qui vise une trentaine d'assureurs aux États-Unis - c'est celle qui a mené au départ de Hank Greenberg d'AIG - a toujours cours. Mais déjà, Fairfax a dû retraiter ses résultats financiers.

C'est ce qui a fait dire à plusieurs analystes que Prem Watsa ne méritait plus son vieux sobriquet de «Warren Buffet du Nord».

Âgé de 57 ans, Prem Watsa est un self-made-man. Né à Hyderabad, en Inde, cet homme d'affaires a immigré au Canada en 1972 à la suggestion de son père, un professeur d'école qui l'a encouragé à rejoindre son frère aîné à London. Cet ingénieur chimique-diplômé du prestigieux Indian Institute of Technology a entrepris une MBÀ à l'Université de Western Ontario. Il a financé ses études avec de menus boulots, dont la vente de climatiseurs.

Prem Watsa a commencé à travaillé en 1974 pour la Confederation Life Insurance Co., et il n'a jamais quitté le monde de l'assurance et de l'investissement depuis.

En 1985, il a racheté Markel Financial, un petit assureur dans le camionnage qui manquait de liquidités, pour voler de ses propres ailes. Deux années plus tard, il le rebaptisait Fairfax (pour fair and friendly acquisitions). Le petit assureur d'hier a aujourd'hui plus de 19 milliards dans ses coffres.

Voilà pourquoi Prem Watsa ne laisse personne indifférent. Pour certains, c'est un génie de la finance qui a su réinvestir avec flair les primes des assureurs sous Fairfax. Pour d'autres, sa réputation de grand financier est surfaite.

Ces derniers ont presque eu raison de Fairfax en pariant sur la chute de son titre. Mais Prem Watsa a contre-attaqué à l'été de 2006 avec une poursuite spectaculaire de 6 milliards US au New Jersey contre SAC Capital Management et d'autres fonds de couverture. Fairfax allègue que ces fonds ont orchestré une campagne pour nuir à Fairfax dans la communauté financière. Selon l'entreprise, ces fonds auraient intimidé des dirigeants, allant même jusqu'à harceler la femme, la secrétaire et le pasteur anglican de Prem Watsa. Cette cause abracadabrante - un intimé a prétendu agir sous les ordres du FBI! - n'a pas encore été entendue.

Le fan club de Prem Watsa s'est considérablement élargi au cours de la dernière année. C'est parce que Fairfax, qui aime aller dans le sens contraire du marché, a senti venir la crise du crédit.

Dans sa lettre annuelle aux actionnaires de 2003, Prem Watsa a mis en garde les investisseurs contre l'utilisation débridée de produits dérivés non réglementés. «Nous entrevoyons des pertes pour les assureurs nord-américains qui recherchent des rendements plus élevés en achetant ou en assurant du papier commercial adossé à des prêts auto, des prêts immobiliers et des cartes de crédit, des emprunts qui pourraient se trouver en défaut si l'économie se détériore», écrivait-il.

Fairfax, ajoutait-il, évitait d'investir dans les entreprises hautement exposées à de tels produits. «C'est une catastrophe en devenir!» écrivait-il voilà cinq ans!

Passant de la parole au geste, l'entreprise a acquis des swaps sur défaillance, des produits dérivés qui prennent de la valeur plus l'entreprise sous-jacente se trouve en détresse financière. Lorsque la crise du crédit s'est déclenchée, leur valeur a explosé.

Fairfax a déjà revendu pour 1,4 milliard de dollars les swaps acquis au coût de 436 millions, pour un profit net de près de 1 milliard de dollars. Or, il lui en reste encore pour 679 millions (valeur marchande au 25 juillet).

L'autre raison pour laquelle Fairfax suscite l'admiration, ce sont les rendements de ses investissements.

Depuis 15 ans, le portefeuille d'actions de Fairfax affiche un rendement annuel moyen de 19,5%, comparativement à 10,4% pour le S&P 500. Fairfax s'est aussi démarquée avec ses placements obligataires, avec un rendement annuel moyen de 10,1% depuis 15 ans, comparativement au rendement annuel de 6,5% de l'indice des obligations d'entreprises américaines de Merrill Lynch.

Avec des rendements comme ceux-là, Prem Watsa pourrait réclamer une rémunération mirobolante, comparable à celles du secteur financier. Mais son salaire s'est élevé à 600 000$ l'an dernier, et c'est tout ce qu'il a touché.

Depuis 2000, Prem Watsa a se passe d'une prime de rendement et d'un régime de retraite. Pour cet homme d'affaires, l'actionnaire de contrôle doit uniquement être récompensé par l'appréciation de ses actions. Prem Watsa dispose de 9,7% du capital de Fairfax, mais contrôle 47,6% de ses droits de vote.

C'est peut-être pour cela que l'on pardonne à Fairfax certains investissements qui font sourciller même ses fans finis. Du lot se trouvent les 350 millions investis dans AbitibiBowater, un producteur de papier journal qui croule toujours sous le poids de sa dette.

Fairfax préconise une approche axée sur la valeur et se réclame de l'investisseur américain Benjamin Graham. «Si les journaux sont en déclins en Amérique du Nord, il en va autrement en Asie. Et puis, les actifs de l'entreprise ont une valeur supérieure au prix que nous payons», justifie le vice-président Paul Rivett. (Nous n'avons pu joindre Prem Watsa, qui était en vacances.)

Quoi qu'il en soit, Fairfax demeure très prudente puisque Prem Watsa est convaincu que l'économie nord-américaine n'est pas sortie du bois; près de 80% de fonds de Fairfax sont placés dans des titres sécuritaires du marché monétaire.

«Comme tous les investisseurs qui préconisent l'approche valeur, ils sont facilement séduits par des cochonneries (junk), note l'analyste financier Tom MacKinnon, de Scotia Capital. Mais dans le grand ordre des choses, quand on a plus de 18 milliards à investir, ces placements sont presque des broutilles.»