Henri-Paul Rousseau ne répond pas souvent aux questions, mais quand il parle, il jase.

Henri-Paul Rousseau ne répond pas souvent aux questions, mais quand il parle, il jase.

Le président de la commission des finances publiques, Alain Paquet, a même dû couper court à ses réponses, mercredi, pour respecter le temps de parole des députés qui voulaient l'interroger sur sa gestion de la Caisse de dépôt et placement du Québec.

Les journalistes sont ressortis de la séance mercredi soir la tête en chou-fleur, avec près de cinq heures d'enregistrement dans le cartable et des reportages à livrer dans des délais serrés.

Voilà pourquoi personne n'a eu le temps de parler du flirt entre la Caisse de dépôt et BCE. Henri-Paul Rousseau a pourtant fait des révélations fort intéressantes à ce sujet.

Pourquoi la Caisse s'est-elle retirée de la course pour cette grande entreprise montréalaise après s'être associée à l'Office d'investissement du Régime de pensions du Canada et au fonds américain Kohlberg Kravis Roberts & Co?

Deux raisons. Comme tout le monde le supputait, les enchères pour BCE ont rapidement fait grimper son prix, à la surprise de la Caisse. «Bell n'était pas cheap», a résumé le président et chef de la direction de la Caisse.

Toutefois, ce n'est pas le principal motif invoqué par Henri-Paul Rousseau pour expliquer leur retrait. La Caisse ne souhaitait pas prendre une petite participation de 5% et «servir de prête-nom pour quelqu'un qui a le vrai contrôle». Elle comptait investir à hauteur de 25% ou de 30%.

Or, il était fort incertain que la Caisse puisse prendre une telle position dans BCE tout en conservant intact son investissement dans Quebecor Media. En effet, la société mère du câblodistributeur Vidéotron est un concurrent direct de Bell Canada, filiale de BCE.

Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), qui se préoccupe de concurrence, ne laisserait pas passer cette transaction comme une lettre à la poste, ont conclu les avocats de la Caisse.

«Si on achetait BCE, il aurait fallu vendre Vidéotron, a expliqué Henri-Paul Rousseau. Or, les perspectives de rendement de Vidéotron étaient plus certaines et mieux connues.» Et vlan dans les dents pour Bell et la caisse de retraite Teachers, son futur propriétaire!

Henri-Paul Rousseau ne croyait pas si bien dire. Tandis qu'il était sur le gril à l'Assemblée Nationale, le gouvernement fédéral dévoilait les règles du jeu pour les prochaines enchères de fréquences pour les services sans fil.

Comme vous le savez peut-être, ces règles ont suscité une âpre controverse dans l'industrie des télécoms. Or, ce sont les aspirants fournisseurs comme Vidéotron qui l'ont emporté sur les sociétés établies comme Bell Canada.

Le gouvernement leur ouvre la porte du marché en leur réservant une bande de 40 mégahertz.

Ce traitement de faveur à Quebecor, à MTS Allstream et à Shaw peut surprendre de la part d'un gouvernement conservateur réputé peu interventionniste. Mais voilà, le ministre de l'Industrie n'est plus Maxime Bernier, l'intégriste du libre marché, mais Jim Prentice.

Le ministre a préféré se faire le champion des consommateurs en intervenant dans ce marché où les prix souffrent visiblement d'un manque de concurrence.

En effet, depuis la vente de Microcell et de Clearnet, les Canadiens ont l'impression de se faire rouler chaque fois qu'ils reçoivent leur facture. Ce n'est d'ailleurs pas qu'une impression.

Une étude récente menée par les consultants du Seabord Group montre qu'un gros utilisateur de sans-fil paie 56% de plus, en moyenne, qu'un gros utilisateur américain.

La facture d'un utilisateur moyen est de 33% supérieure à celle d'un utilisateur américain comparable. En fait, il n'y a que les Canadiens qui se servent à l'occasion de leur téléphone sans fil qui s'en tirent à meilleur compte que leurs voisins américains.

En plus, Telus n'a pas aidé la cause des entreprises établies. L'entreprise de Colombie-Britannique s'était rangée de façon très opportuniste aux arguments de Quebecor et compagnie durant les quelques jours où Telus avait caressé le projet d'une fusion avec BCE.

Mais dès l'instant où Telus s'est désintéressée de BCE, elle a viré sa veste et est revenue à sa position première. Pas fort, comme on dit.

L'arrivée prochaine de concurrents dans le sans-fil est une très mauvaise nouvelle pour BCE. Les services sans fil sont la vache à lait de Bell Canada. D'ailleurs, les revenus de ce secteur étaient encore en hausse au dernier trimestre, grâce à la montée des tarifs, dont les fameux frais d'accès mensuels.

Si Vidéotron réédite son exploit obtenu dans la téléphonie résidentielle, cela annonce de biens mauvais jours pour Bell Canada. Et, par ricochet pour Teachers.

À cet égard, les propos d'Henri-Paul Rousseau sur les meilleures perspectives de rendement de Vidéotron ne sont peut-être pas aussi innocents qu'ils le paraissent. La Caisse de dépôt n'est-elle pas toujours comparée à Teachers, la caisse de retraite des enseignants de l'Ontario?

L'an dernier, la Caisse a battu Teachers de peu, avec un rendement global de 14,6% contre 13,2% pour la caisse ontarienne. En 2005, c'était Teachers qui surpassait la Caisse avec un rendement de 17,2% contre 14,7% pour l'institution québécoise.

La Caisse de dépôt risque fort de perdre la course cette année pour avoir acheté 13,2 milliards de papier commercial vendu par des boutiques indépendantes dont les arrières n'étaient pas assurés. Teachers, en comparaison, a à peine touché à ce type d'investissement.

Mais en 2008 ce sera peut-être une autre histoire. Surtout si BCE se révèle un investissement aussi exorbitant pour Teachers que Quebecor Media l'a été pour la Caisse.