Le rapport sur la compétitivité mondiale de l'institut suisse IMD, dont on a publié des extraits dans ces pages la semaine dernière, le montre clairement: les pays émergents sont en train de rattraper les nations développées.

Le rapport sur la compétitivité mondiale de l'institut suisse IMD, dont on a publié des extraits dans ces pages la semaine dernière, le montre clairement: les pays émergents sont en train de rattraper les nations développées.

Parmi les 55 pays étudiés par l'IMD (Institute for management development), 40 ont réduit ou maintenu l'écart avec le leader mondial, les États-Unis. En tête des pays ayant réalisé le plus de progrès : la Chine, la Russie et l'Inde.

Du côté des pays qui perdent du terrain, on retrouve l'Italie, la France et le Canada, qui est passé de la 7e à la 10e place en un an. Pour l'IMD, cela ne fait aucun doute: si ces pays ne réagissent pas, «ils perdront tôt ou tard leur standing».

La poussée de la Chine sur les marchés mondiaux, en particulier, change complètement la donne. D'après le ministère du commerce chinois, l'empire du Milieu délogera l'Allemagne au troisième rang des plus grands commerçants de la planète, dès cette année.

Et d'ici 2010, la Chine pourrait supplanter les champions mondiaux du commerce, les Américains.

Or, le rapport de l'IMD effleure un autre phénomène, tout aussi dérangeant : le monde en développement est en train de déployer une puissance financière inédite.

En regroupant la Chine, l'Inde, la Russie et les pays du Golfe, les réserves monétaires des pays émergents dépassent les 2000 milliards de dollars américains! Un butin de guerre - provenant surtout des exportations de ces pays et des investissements étrangers - équivalant à presque deux fois l'économie canadienne.

Jusqu'à récemment, ce bas de laine n'inquiétait guère l'Occident car il était entre les mains des banques centrales, qui se contentent de placer leur sous dans des obligations américaines ou d'autres titres de dette.

Cependant, plusieurs pays en forte croissance veulent au travail leurs économies pour générer de meilleurs rendements, mais aussi pour utiliser leur énorme levier économique.

Des Super Caisses

Ainsi, des puissances émergentes viennent de se doter de fonds publics d'investissement, semblables à la Caisse de dépôt et placement du Québec.

La Chine, forte de ses réserves monétaires de 1200 milliards US, vient d'annoncer la création d'un tel fonds. La richissime et flamboyante Dubaï en a déjà deux.

Inspiré des fonds publics, très actifs, mis sur pied par Singapour, la Corée du Sud et le Koweït notamment, le fonds chinois pourra investir dans des entreprises étrangères.

Avec une encaisse initiale estimée à 300 milliards US - mais qui atteindrait les 500 milliards US (550 milliards $CAN) à la fin 2007, selon la firme Private Equity Intelligence, de Londres - l'agence chinoise pourrait aisément s'offrir Wal-Mart ou Citigroup si elle le veut.

Certes, ce scénario est hautement improbable. Mais cela donne une idée de la puissance du nouveau véhicule financier chinois : 500 milliards US, c'est beaucoup de sous à dépenser.

«C'est le plus gros fonds qu'un gouvernement ait constitué, pour faire quoique ce soit. C'est du jamais vu», clame Stratfor, une firme de surveillance stratégique basée à Austin, au Texas. Notre chère Caisse de dépôt, à titre comparatif, gère un actif de 144 milliards qui a nécessité plus de 40 ans à amasser.

La cible : les ressources

Les analystes financiers, pour la plupart, ne craignent pas que la Chine se lance dans des emplettes extravagantes tous azimuts, car cela déclencherait une violente riposte protectionniste en Occident.

Mais la firme JPMorgan Chase sert cette mise en garde: dans une étude, elle prédit que la «Caisse» chinoise va probablement cibler, de façon graduelle, des investissements stratégiques, notamment l'énergie et les métaux - deux secteurs cruciaux au Canada et qui sont déjà en période de consolidation.

Les milieux financiers s'en frottent les mains, mais les milieux d'affaires et politiques sont sur le qui-vive.

Aussi, l'IMD dit craindre un repli des pays développés face à cette menace.

Un nouveau protectionnisme plus subtil, axé sur des normes environnementales ou la propriété intellectuelle, risque ainsi d'émerger, croit-on.

D'ailleurs, une levée de boucliers s'organise aux États-Unis, et de plus en plus en Europe. Même Nicolas Sarkozy, le nouveau président élu de la France, est monté aux barricades durant sa campagne, appelant toute l'Europe à être plus «protectrice» au plan économique Ça promet.