En entrant dans la salle d'audience du palais de justice, strictement gardée par quatre constables, personne ne doutait que Vincent Lacroix serait reconnu coupable. N'ayant présenté aucune défense, il le fut d'ailleurs 51 fois.

En entrant dans la salle d'audience du palais de justice, strictement gardée par quatre constables, personne ne doutait que Vincent Lacroix serait reconnu coupable. N'ayant présenté aucune défense, il le fut d'ailleurs 51 fois.

Ce qui intriguait les journalistes comme les badauds, qui sont tous un peu voyeurs, c'était la réaction de Vincent Lacroix. Craquerait-il en écoutant les mots sévères du juge Claude Leblond?

Nous raconterait-il le moment où il a mis le doigt dans cet engrenage infernal qui l'a conduit à commettre des fraudes de plus en plus grosses et grossières pour couvrir ses traces? Surtout, exprimerait-il des regrets pour avoir ruiné la vie de petits investisseurs?

Cette chasse aux regrets est devenue une véritable obsession, me disait un ami. Il s'insurgeait contre le fait que l'on fasse grand cas des regrets de dernière minute de Conrad Black, lui qui n'a eu de cesse de clamer son innocence et de dénoncer le système judiciaire américain.

Vrai, les regrets n'excusent rien. Mais en admettant une faiblesse, même les criminels les plus froidement calculateurs deviennent plus humains. Or, qu'on l'admette ou non, nous sommes tous des abonnés de la rédemption.

Ce moment n'est pas venu hier. Le menton enfoui dans la main gauche, les yeux rivés sur son carnet de notes, Vincent Lacroix a fait semblant de griffonner des commentaires pendant que le juge Claude Leblond a lu son verdict de 67 pages pendant plus de deux heures.

Le juge ne s'est interrompu que pour faire installer des haut-parleurs, sa voix usée ne portant plus.

Comme un élève studieux, Vincent Lacroix a pris sous dictée les définitions des mots «déloyal», «abusif» et «frauduleux» que le juge Leblond avait tirées du dictionnaire.

Le seul instant où il a semblé ébranlé, c'est quand Yvon Lessard, un gardien de prison de 64 ans qui a perdu 35 000 $ dans Norbourg, l'a apostrophé à la fin de l'audience en le traitant de menteur.

Vincent Lacroix avait les yeux effarouchés du chevreuil surpris par les phares d'une voiture. Il s'est sauvé de la salle d'audience en répétant «je vous suis» aux constables qui l'aidaient à fendre la foule.

Aujourd'hui, les avocats de l'Autorité des marchés financiers (AMF) feront témoigner des victimes de Norbourg. Ils réclament une peine de prison sévère et dissuasive. Amenez vos mouchoirs.

Peut-être que Vincent Lacroix saisira la perche que lui a tendue mardi le juge Leblond. Il lui a suggéré de profiter de l'occasion pour «expliquer ce qui est arrivé aux investisseurs».

Si le PDG de l'Autorité, Jean St-Gelais, s'est dit «satisfait» du verdict, il s'est bien gardé de se montrer triomphant. Il faut voir que l'AMF a aussi quelques regrets dans cette affaire.

Regret d'avoir ignoré la revue Finance & Investissement qui, dès juin 2004, s'interrogeait sur les moyens en apparence illimités dont Norbourg disposait pour financer ses acquisitions.

Regret de ne pas avoir allumé en recevant, en avril 2005, un fax du Centre d'analyse des opérations et des déclarations financières du Canada (CANAFE), une agence fédérale qui lutte contre le blanchiment d'argent et le financement d'activités terroristes.

Le CANAFE avait repéré des transferts de fonds louches en 2003 et en 2004 entre les fonds communs Norbourg et des comptes en banque, dont un à la caisse populaire de La Prairie.

«Tout le monde regrette de ne pas avoir vu cela un peu plus tôt», a dit mardi Jean St-Gelais. Pour autant, l'Autorité refuse de prendre une plus grande responsabilité que celle d'un organisme de réglementation qui a été déjoué par un fraudeur qu'elle décrit comme «sophistiqué».

Il faut voir que l'AMF est la cible d'un recours collectif intenté par des investisseurs de Norbourg qui lui reprochent d'avoir été négligente.

Il n'y avait pourtant rien de bien sorcier à maquiller les rapports - il y avait pour 700 pages de comptabilité trafiquée dans le bureau de Lacroix lorsque les policiers y ont perquisitionné.

Qui plus est, Vincent Lacroix n'avait qu'à claquer des doigts pour que le gardien de valeurs Northern Trust transfère des millions en gros chiffres ronds dans des comptes de Norbourg sans la moindre vérification.

Cela n'a rien à voir avec les fraudes de Norshield et de Mount Real, tellement complexes que, dans ce dernier cas, les policiers ont baissé les bras.

Si l'AMF ne prend aucune responsabilité pour son intervention tardive, la ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget, a reconnu mardi de façon implicite que l'Autorité devra bouger plus rapidement à l'avenir.

La ministre compte déposer un projet de loi pour lui donner «plus de poigne» la semaine prochaine.

Mais l'AMF n'a pas nécessairement besoin de pouvoirs accrus pour faire plus. Si elle a épinglé Vincent Lacroix, ses complices n'ont toujours pas été inquiétés.

David Simoneau, le cousin de Vincent Lacroix qui était responsable des services administratifs chez Norbourg, a autorisé 55 des 137 retraits irréguliers, dont 49 ont été authentifiés par une experte en écriture.

Ces 49 retraits totalisent 34,9 millions de dollars, conclut le juge. Quant à l'informaticien Félicien Souka, il est «directement relié à la fabrication de faux rapports mensuels».

Et que dire de la Gendarmerie royale du Canada qui n'a toujours pas levé le petit doigt près de deux années et demie après les perquisitions. Il serait vraiment temps de bouger avant d'avoir de nouveaux regrets.