Au bout de la rue en terre rouge, il y a un mur avec une porte basse. Élie Ouédraogo, ancien ministre des Mines et de l'Énergie, docteur en économie, homme de lettres d'une culture raffinée, directeur général de la mine d'or Semafo, a changé de ton en me montrant le mur : «C'est la cour royale. C'est là que vit le roi David, le roi des Mossis de Yatenga», me dit-il en stationnant son luxueux VUS Toyota devant l'enceinte.

C'est toute la contradiction de l'Afrique. Un ancien ministre, un économiste réputé, un chef d'entreprise qui vit dans une belle résidence à Ouagadougou et qui a sa maison de campagne dans son village natal de Gourcy, a changé de ton parce qu'il redevient ce qu'il est au plus profond de lui. Un prince mossi de la lignée royale. Qui vient rendre hommage à sa majesté.

Les Mossis, qui comptent pour 48% de la population du Burkina Faso, étaient des guerriers, une ethnie dominante. Blaise Compaoré, le président du pays est mossi.

«La porte de la cour royale est basse pour forcer tout arrivant à se prosterner en entrant chez le roi», m'explique l'ancien ministre qui a revêtu un boubou traditionnel. C'est plié en deux que je pénètre dans l'enceinte.

Le «palais royal» n'a pas changé depuis des siècles. La case du roi est en terre séchée. Juste à côté, c'est la case des fétiches des ancêtres. Toute craquelée par les décennies. Rien n'a changé de mémoire d'homme, et la mémoire du roi remonte à au moins 90 ans. Les femmes du roi nous accueillent. Elles s'affairent à moudre le mil. Devant la case royale, il y a un cheval. Tout roi ou prince mossi doit avoir un cheval. D'ailleurs, en plein Ouagadougou, Élie Ouédraogo a un terrain clôturé pour garder son cheval de prince.

Le roi David se lève péniblement et vient nous saluer. Il a 94 ou 95 ans, personne ne s'en souvient vraiment. Il est roi depuis 35 ans. Contradiction africaine, cet homme qui vit dans une case sans électricité ni eau courante passe du moré au français et discute politique avec ses hôtes.

Ce sont ses sujets qui cultivent son champ. Il marche péniblement, et quand il sort de sa case, ceux qui le croisent le saluent avec une profonde vénération.

Plus tôt, nous avions rendu visite au chef du village qui nous attendait avec cinq ou six des vieux sages autorisés à discuter de ses décisions. Ils étaient tous musulmans alors que Ouédraogo est catholique. Au Burkina, musulman ou catholique, il n'y a pas grand différence. Si l'homme a envie d'avoir plusieurs femmes, c'est officiel ou officieux. Et souvent, la religion demeure imprégnée d'une ancestrale tradition animiste. On prie le bon Dieu mais en même temps, on tue un poulet en l'ouvrant en deux pour savoir ce qu'on va lire dans les viscères.

Contradictions africaines...

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C'est comme Noël. Les chrétiens célèbrent Noël. Certains vont à la messe de minuit, mais ça finit par un souper. Et ce repas réunit aussi bien la famille élargie africaine que les amis musulmans. S'il reste de la nourriture, elle est distribuée aux gens de la rue ou du village.

Évidemment, les sapins sont rares! Mais il y a des marchands libanais qui importent de gros sapins de leur pays pour les vendre aux hôtels ou aux commerces faisant affaire avec les Occidentaux. Et j'ai vu une publicité à la télé nationale avec une comédienne habillée de rouge vanter Noël avec des flocons de fausse neige en arrière-plan. Surréaliste dans un pays où, l'hiver, il fait 35 degrés.

Cette année, c'est vraiment génial au Burkina. La Tabaski, commémorant le sacrifice d'Abraham, aussi appelée couramment la grande fête du mouton qu'on célèbre 70 jours après le ramadan chez les musulmans, tombait le 9 décembre. Azize ou Georges ou tous les musulmans que j'ai rencontrés m'ont dit la même chose. Ils vont fêter la Tabaski et, à la fin du repas, ils vont aller trouver leurs amis chrétiens pour leur offrir la viande de mouton qui va rester. À Noël, ce sera le contraire.

Tout le monde va avoir droit à deux fêtes.

Je leur ai expliqué que chez nous, au Québec, c'était le même principe. Nous avons deux fêtes nationales. Le 24 juin et le 1er juillet. Mais j'ai arrêté là l'explication, ç'aurait vraiment été trop compliqué.

Contradictions africaines... et québécoises.