Jean Pascal avait pris soin de dissimuler ses yeux derrière des lunettes fumées avant de quitter sa chambre d'hôtel, hier midi, une douzaine d'heures après sa défaite contre Carl Froch. Mais s'il préférait cacher les dommages infligés par les poings du nouveau champion des super-moyens du WBC, le boxeur québécois n'était en rien gêné par sa performance de la veille.

Attablé avec son entraîneur Marc Ramsay et le promoteur Yvon Michel, Pascal a décrit comme un «enfer» ce que Froch et lui ont vécu dans le ring. Peut-être pas un enfer aussi... infernal que celui dans lequel Manny Pacquiao a précipité le pauvre Oscar de la Hoya, remarquez. Mais l'enfer quand même.

«On s'est bombardés de coups. J'ai saigné du nez pour la première fois, il a saigné aussi et je l'ai coupé à l'oeil (gauche), a dit Pascal. Peu de gens auraient passé au travers de 12 rondes comme ça. J'ai prouvé que je suis un boxeur de calibre mondial et que j'ai l'étoffe d'un champion.»

Son corps endolori par les coups de massue de Froch ne l'avait pas empêché de bien dormir, mais il avait encore du mal à digérer sa défaite. «C'est difficile. Je suis un gagnant. J'ai très rarement goûté à la défaite. Mais c'est bien que je réagisse comme ça. J'aurais un problème si je n'étais pas déçu d'avoir perdu», a-t-il dit.

Pascal n'a pas cherché d'excuses. Il a répété que le meilleur boxeur l'avait emporté. Il a toutefois fait valoir que sa longue absence du ring - son dernier combat remontait au 11 janvier - avait affecté son synchronisme. «La force physique était là. Si mon timing avait été meilleur, ça aurait pu faire une différence.»

Si Marc Ramsay avait un regret, c'est que son poulain n'ait pas été capable de déjouer davantage le jab de Froch. «On voulait qu'il soit un peu plus offensif, qu'il garde davantage Froch sur les talons», dit-il.

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Un boxeur peut toujours raffiner sa préparation. Il peut améliorer sa technique. L'expérience peut le rendre plus rusé. Mais le courage, ça ne s'apprend pas. La capacité à encaisser sans broncher des coups sur la mâchoire non plus. Jean Pascal a prouvé samedi qu'il avait du coeur... et du menton.

Pascal aurait probablement amélioré ses chances de victoire s'il avait pu livrer un ou deux combats préparatoires. Il a comparé sa situation à celle d'une équipe qui se qualifie pour la finale de la Coupe Stanley en quatre parties et doit ensuite attendre son adversaire pendant une semaine. «Le premier match de la finale est toujours plus difficile quand ça fait longtemps qu'on n'a pas joué.»

Mais l'occasion de se battre pour un championnat du monde était là. Il fallait la saisir. Ce n'était pas un mauvais calcul. Contrairement à Sébastien Demers contre Arthur Abraham, par exemple, Pascal a eu une réelle chance de gagner. Les cartes de pointage des juges (118-110, 117-111 et 116-112) sont trompeuses. Froch a remporté une nette majorité des rounds, mais il n'a jamais dominé outrageusement.

Cela dit, Pascal a avoué que Froch lui avait fait mal aux côtes dès le premier round. Il a aussi vu «double ou triple» pendant la moitié de l'affrontement - la faute au pouce de son rival, qui l'a cueilli dans l'orbite de l'oeil. C'est le métier qui rentre. «Je me suis fait frapper solidement et ça faisait mal. Mais je revenais. Maintenant, je sais ce que c'est et ce sera plus facile si ça se représente.»

Pascal n'aurait aucune objection à remonter un jour dans le ring avec Froch. En attendant, le simple fait d'avoir donné tort à ses détracteurs le réjouit. «J'ai gagné beaucoup de respect auprès de tous ces gens qui doutaient de moi et ne me prenaient pas au sérieux. Je n'ai jamais douté de ma mâchoire, je n'ai jamais douté que j'étais tough. Je suis content de fermer le clapet de ceux qui doutaient. Les Joe-Connaissant vont dire: «Je savais qu'il allait perdre». Qu'ils viennent faire 12 rondes avec Carl Froch, ils verront.»

Pascal contre Bute...

Jean Pascal ne s'est pas fait beaucoup d'amis, il y a un an, quand il a commis le crime de lèse-majesté d'affirmer qu'il pourrait battre Lucian Bute. Maintenant qu'il a démontré qu'il est un aspirant sérieux à un titre mondial, ne devrait-on pas lui donner la chance de prouver que ses propos n'étaient pas que des paroles en l'air?

Imaginez l'affiche: Bute contre Pascal au Centre Bell. «Si l'occasion se présentait, c'est sûr qu'on accepterait, dit Yvon Michel. Jean est prêt à faire (les combats préalables) qu'il faut pour se qualifier en vue d'un championnat du monde, mais il ne dirait pas non à l'offre d'un champion, y compris Lucian Bute. Sa performance contre Froch rend légitime notre prétention que Jean peut se battre avec n'importe qui.» Un tel combat générerait un intérêt monstre à Montréal. Ça ne se vendrait peut-être pas aussi vite qu'un gala de l'UFC avec Georges Saint-Pierre, mais pas loin... Messieurs d'Interbox, tirerez-vous les premiers?

...ou Bute-Froch?

Carl Froch, qui parle déjà d'unifier le titre des super-moyens, reluque aussi Lucian Bute, qui devrait se livrer à une défense optionnelle de son titre de l'IBF, en Allemagne, cet hiver. «On prendrait Lucian Bute n'importe quand. Ce serait un combat plus facile que contre Jean Pascal», m'a dit hier son entraîneur, Robert McCracken.

Coudonc, est-ce qu'on commencerait à manquer de respect envers Bute?