Il n'existe aucune raison moralement défendable pour que les contribuables des États-Unis subventionnent General Motors. Ou Ford, ou Chrysler. Les trois grands de l'industrie automobile américaine, icônes du capitalisme classique, se retrouvent en faillite virtuelle, surtout GM, parce qu'ils ont bafoué les règles du système. Ils ont eu des complices: le plus puissant establishment syndical du pays et le lourd lobby politique sévissant, depuis Detroit, dans les coulisses du pouvoir à Washington.

«Ce qui est bon pour GM est bon pour l'Amérique», est réputé avoir dit un de ses ex-présidents, Charles Wilson.

 

Or, depuis le choc pétrolier de 1973, GM a fait tout ce qui était mauvais pour elle-même et pour le pays. Condensons la liste: GM a surtout refusé d'innover, refusé d'affronter l'avenir - pareil pour les deux autres. Ça, le capitalisme ne le pardonne pas. Il prône en de tels cas la «destruction créatrice», la mise à mort du délinquant pour faire de la place à un plus jeune, plus fou.

Pourtant, au bout du compte, le Trésor public devra probablement allonger les milliards - bien que les républicains au Congrès se montrent fort réticents. Car, dans la conjoncture actuelle, il serait désastreux pour l'Amérique que GM dépose son bilan. Washington est ainsi coincé dans une situation où, s'ajoutant aux déboires des institutions financières, la faillite d'un des grands de l'auto achèverait de ruiner ce qui reste de confiance dans le public ainsi que les chances d'un relèvement à moyen terme.

Sans parler des millions de familles (le pire scénario prévoit la perte de 2,5 millions d'emplois) reléguées ainsi dans les limbes de l'économie.

* * *

En 2008, GM fête son centenaire. Tout comme la Ford modèle T, cette incroyable voiture dont il s'est vendu 15 millions d'exemplaires, qui a canonisé le moteur à explosion, inventé la production et la consommation de masse, fondé la classe moyenne. Sous cet éclairage, on voit ici et maintenant l'agonie d'une ère: celle du transport mû par le pétrole, celle de l'hégémonie américaine sur l'inventivité industrielle, celle d'une certaine conception du prolétariat.

Or, cette passation des pouvoirs au moteur électrique, au génie asiatique et à la «société civile», version post-moderne de la classe ouvrière, est inéluctable. Tout ce que le secours de l'État peut faire pour GM et les autres est de leur donner une dernière chance.

Ce serait une sorte de Car Academy. Ou de Garage double, au choix...

L'État consent les 50 milliards de dollars prévus aux trois grands en prenant une option sur les éventuels profits, comme ce fut le cas pour les garanties de prêt à Chrysler, en 1979. Il impose un regard neuf - quelqu'un a suggéré Steve Jobs, créateur d'Apple! Il fixe un calendrier au terme duquel l'industrie, radicalement transformée, se reprend en main... ou, s'en montrant incapable, disparaît.

Rien de cela n'est très orthodoxe. Mais il s'agit aussi d'une occasion ouverte aux premiers pas d'une nouvelle économie au moment précis où un homme neuf s'installe à la Maison-Blanche.

Ça passe ou ça casse, comme on dit.

mroy@lapresse.ca