Il n'y a pas qu'une victime dans l'affaire Geneviève Jeanson.

Il y a Jeanson elle-même, bien sûr. Frappée, abusée psychologiquement et entraînée dès l'adolescence dans une relation intime malsaine avec son coach, André Aubut, l'ex-cycliste a mené une double vie pendant toute sa carrière.

Derrière les victoires sur le mont Royal et l'image de princesse du vélo - sérieusement écornée au fil des ans et des multiples controverses, il faut bien le dire - se cachait la réalité sordide d'une athlète que son entourage a conduite au dopage alors qu'elle n'avait pas encore l'âge d'acheter de la bière au dépanneur.

 

Difficile donc de ne pas éprouver un minimum de sympathie pour l'ancienne championne du monde junior en lisant L'affaire Jeanson: l'engrenage, le livre du journaliste Alain Gravel qui relate l'enquête ayant mené à la diffusion des aveux de Jeanson sur les ondes de Radio-Canada, en septembre 2007.

Coincée entre un entraîneur prêt à tous les raccourcis et un père qui savait que sa fille se dopait, mais préférait détourner le regard, la p'tite Geneviève n'avait pas beaucoup de modèles positifs auxquels se raccrocher.

Cela dit, et sans vouloir diminuer la gravité des allégations de Jeanson à l'endroit de son ancien entraîneur, dont mon collègue Simon Drouin fait état en pages A2-A3, Jeanson est loin d'être la seule à avoir souffert. Elle a laissé dans son sillage tout un peloton de coureuses qui ont bien de la difficulté à lui pardonner son recours à la tricherie.

Du lot, aucune n'est plus meurtrie que l'éternelle rivale de Jeanson, Lyne Bessette. Ceux qui connaissent Bessette la décrivent comme une boule d'émotions, une fille qui ne connaît pas l'hypocrisie et qui a toujours eu du mal à cacher ses sentiments - à commencer par le sentiment d'injustice que lui inspiraient les succès de Jeanson.

Cela ressort clairement du chapitre que Gravel consacre à la double gagnante du Tour de l'Aude, vers la fin de son livre. Bessette n'a toujours pas pardonné à Jeanson et on soupçonne qu'elle ne lui pardonnera jamais. «Jeanson m'a volé au moins une vingtaine de victoires, soit le nombre de fois que je suis arrivée deuxième derrière elle. T'imagines comment les choses auraient pu être différentes si elle ne s'était pas dopée?», demande-t-elle.

«Elle a triché, crisse! Je regrette, mais ça ne passe pas, même aujourd'hui», ajoute-t-elle dans l'entrevue avec Gravel, qui a eu lieu l'été dernier. Elle rappelle que Jeanson gagnait 200 000$ par an dans les belles années de l'équipe RONA, alors qu'elle-même n'a jamais empoché plus de 70 000$. Et elle s'insurge d'apprendre que Jeanson va encore une fois passer à la caisse grâce au film sur sa vie que prévoit tourner le cinéaste Alexis Durant-Brault.

«Ça me fait chier de savoir qu'elle va faire de l'argent avec ça. Elle ment à tout le monde, pis elle fait de l'argent. C'est payant être tricheur! Je vais changer de job!»

Si Bessette semble amère, c'est qu'elle l'est. Et elle n'est pas la seule. Une autre ex-coéquipière de Jeanson me disait l'an dernier, à micro fermé, sa colère envers Jeanson. «Les aveux, c'est bien beau, mais est-ce qu'elle va rembourser l'argent qu'elle a gagné en trichant?» disait-elle.

Il s'en trouvera sûrement pour accuser Bessette de manquer de magnanimité et d'empathie. À ceux-là, je dis: au diable la rectitude politique. Bessette et Jeanson, sa cadette de six ans, ont connu les plus belles années de leurs carrières respectives en même temps. Et c'est Jeanson la dopée, plutôt que Bessette la propre, qui a récolté les médailles d'or, les commandites et la gloire.

«N'eût été la présence de Jeanson dans le peloton, sa carrière aurait pris une tournure complètement différente. Sa notoriété et sa popularité auraient été beaucoup plus grandes dans l'univers des vedettes sportives québécoises», souligne avec justesse Gravel dans son livre.

Devant la multiplication des affaires de dopage, on a tendance à perdre sa faculté d'indignation. Tricher est devenu tellement banal qu'on hausse les épaules avant de passer à autre chose. On oublie que dans l'ombre de chaque champion dopé se cachent des athlètes propres, victimes collatérales qui auraient mérité mieux. On oublie que dans l'ombre de chaque Geneviève Jeanson se cache une Lyne Bessette.