Un combat revanche entre Lucian Bute et Librado Andrade s'impose.

Ce n'est pas seulement l'avis du clan Andrade, qui a l'intention de contester en appel devant l'International Boxing Federation (IBF) la victoire controversée de Bute.

C'est ce que veulent les amateurs de boxe.

C'est sans doute ce que dicte la logique économique.

 

Et c'est surtout ce qu'il faut pour lever le doute qui entache la victoire du boxeur montréalais.

Porté par une foule partisane de 16 266 spectateurs, Lucian Bute a dominé la majeure partie du combat de vendredi. Il n'a concédé qu'une poignée de rounds à un adversaire pourtant coriace, qui n'a jamais arrêté de foncer sur lui. Ma carte le donnait gagnant 116-109 quand la cloche finale a retenti. Mais les 30 dernières secondes de l'ultime reprise sont venues gâcher ce qui avait été jusque-là, pour reprendre les mots de Ti-Guy Émond, une «leçon de boxe» de la part de Bute.

Le clan Andrade en a beurré très, très épais après que Bute eut échappé à la défaite par K.-O à la faveur d'un compte qui a duré une éternité. Vol à main armée, honte, farce, oeil au beurre noir pour la boxe, coup bas - l'entraîneur d'Andrade, Howard Grant, et le directeur des opérations de Golden Boy Promotions, David Itskowitch, s'en sont donné à coeur joie. (Dans le ring, Grant s'en est aussi pris physiquement à l'arbitre Marlon B. Wright, un coup de sang qui devrait, en toute justice, lui valoir une suspension.)

Une réaction forte en hyperbole, donc, mais une réaction néanmoins compréhensible, vue du coin d'Andrade. Épuisé avant même le début du 12e round - peut-être, comme l'a dit son entraîneur Stéphan Larouche, parce qu'il «en avait mis plus que le client en demandait» dans les rounds précédents -, Bute a commis le péché cardinal de vouloir échanger coup pour coup avec le tenace Mexicain, au lieu de danser autour de lui et de le maintenir à distance. Il en a payé le prix, et pas qu'un peu.

Au cours des 30 dernières secondes, bien avant que Bute ne tombe finalement au plancher, l'arbitre aurait facilement pu lui imposer un compte. Bute était hagard. Le regard vitreux, les jambes molles, il ne se défendait plus et on peut facilement arguer que sa sécurité était compromise.

Puis est survenue la chute, alors qu'il ne restait quatre secondes au cadran. En entrevue sur la chaîne Showtime, Wright a été catégorique: Andrade a perdu par sa propre faute. «Il s'est privé d'une victoire par knock-out en quittant le coin. S'il n'avait pas quitté le coin, il aurait gagné par K.-O. Bute ne se serait pas relevé à temps.»

La reprise vidéo montre que Bute se relève au compte de neuf. Mais il se tient debout en s'appuyant sur les câbles et profite clairement des quelques secondes de répit supplémentaires que lui procure l'interruption du compte par l'arbitre, occupé à sommer Andrade de rester dans le coin neutre.

Vrai, Andrade n'était pas complètement dans son coin, contrairement au règlement. Mais il n'était pas au milieu du ring non plus. Comme l'a souligné, après le combat, le vétéran arbitre Guy Jutras, la décision d'interrompre le compte relève de l'interprétation et du bon jugement de l'officiel. «Les spectateurs décideront s'il a bien exercé son jugement», a-t-il dit.

En entrevue à CKAC Sports, hier, Wrights a soutenu qu'il avait «respecté les règlements à la lettre» et s'est dit «très à l'aise» avec sa décisiond'interrompre le compte. «Ce qui compte, c'est si je juge qu'il est apte à boxer ou non après le décompte. C'était le dernier round et je savais qu'il était presque terminé. Je lui ai dit de boxer, la cloche a sonné, et le combat a pris fin. On ne peut sonner la cloche tant que je n'ai pas donné mon accord pour que les boxeurs reprennent le combat. C'est ce qui est arrivé, c'est tout.»

Si je me fie à ce que j'ai entendu au Centre Bell l'autre soir, les fans d'Andrade sont loin d'être les seuls à croire que Wright s'est joyeusement fourvoyé et que Bute, même s'il a fait la preuve de son immense courage en se relevant in extremis, s'en tire à très bon compte.

Même si la décision de Wright peut se défendre sur le strict plan technique, elle ne devrait pas masquer la réalité: à la fin du combat, Lucian Bute, tout vainqueur aux points qu'il ait été, était K.-O. Il aurait été incapable d'encaisser ne serait-ce qu'une pichenette de plus de la part de son rival.

Bute devrait remonter dans le ring en février ou mars, dans le cadre d'une défense optionnelle de son titre des 168 livres, a dit Larouche, hier matin, sans vouloir s'avancer sur l'identité du prochain adversaire du boxeur d'origine roumaine. Sans nier qu'une nouvelle affiche Bute-Andrade pourrait être fort lucrative, l'entraîneur dit avoir d'autres plans en tête. «Si l'IBF dit qu'il doit y avoir un combat revanche, Lucian va battre Andrade à la perfection et le résultat va être plus clair et plus évident. Mais je ne suis pas sûr que l'IBF va voir ça du même oeil que le clan Andrade.»

Au diable ce que décidera l'IBF. La fin ambiguë de l'affrontement de vendredi donne un air d'incomplétude à la victoire de Bute et justifie pleinement un combat revanche.

«Je suis prêt», a dit Bute, vendredi soir. Parfait. Si le boxeur et son entraîneur sont aussi confiants qu'ils l'affirment dans leur capacité de tirer les leçons qui s'imposent du quasi-désastre d'il y a deux jours, ils ne devraient pas avoir peur de donner à Andrade la deuxième chance qu'il mérite.