L'attentat commis contre le repaire des Hells Angels à Sorel fait beaucoup parler. Bien qu'on ne puisse pas minimiser sa gravité, cet incident n'est pas ce qui devrait inquiéter le plus la population. Celle-ci devrait se préoccuper davantage des informations publiées au cours des dernières semaines révélant à quel point le crime organisé est parvenu à s'infiltrer dans tous les recoins de la société québécoise.

Lorsque six mafiosi ont plaidé coupables le mois dernier à la suite de l'opération Colisée, les reporters de La Presse André Cédilot et André Noël ont pu prendre connaissance des comptes rendus de l'écoute électronique faite par les enquêteurs. Ils y ont appris que plusieurs entrepreneurs, restaurateurs et autres gens d'affaires ont été victimes, complices ou complaisants à l'endroit du clan Rizzuto. Un grand nombre de commerçants doivent payer une commission de protection. Plusieurs hommes d'affaires ont fait l'objet d'intimidation ou de violence. D'autres ont eu recours à la mafia pour «régler» des problèmes de divers ordres.

Nos collègues rapportaient la semaine dernière que l'entreprise distribuant la boisson énergisante Cintron, principal commanditaire de l'émission phare de TQS, Loft Story, est en partie propriété d'un membre des Hells Angels. Salvatore Cazzetta a purgé 10 ans de détention pour complot d'importation de 10 000 kg de cocaïne. Cette semaine, le Journal de Montréal a révélé qu'un autre membre des Hells était associé à la direction d'une équipe de la Ligue nord-américaine de hockey.

Autant d'indications que les motards, suivant les traces de la mafia, profitent de toutes les occasions pour canaliser leurs millions et gagner en respectabilité. Or plus le crime organisé s'installe dans l'économie légale, plus l'échafaudage est difficile à démonter. Et plus ce cancer pourrit la société de l'intérieur.

La police a montré, par les opérations Printemps 2001 et Colisée, qu'elle peut porter de durs coups au crime organisé. Mais le processus judiciaire est lourd, les sentences n'ont pas d'effet dissuasif et les fortunes colossales engrangées par les criminels sont à peine entamées par les saisies.

Les gouvernements doivent bien sûr s'assurer en tout temps que les forces de l'ordre ont en main tous les moyens pour lutter contre le crime organisé. Cependant, l'État n'y arrivera pas seul. La société doit réaliser à quel point son intégrité est menacée par les tentacules du crime organisé et réagir. Le commerçant qui fait l'objet de menaces doit avertir la police. L'entreprise qui, comme TQS, apprend qu'un de ses partenaires d'affaires est membre d'une organisation criminelle doit dès que possible mettre un terme à cette relation malsaine.

Le copropriétaire de TQS, Maxime Rémillard, disait à La Presse cette semaine: «Ce n'est pas à nous à jouer à la police.» Bien sûr que non. Mais de là à rester les bras croisés...

Faisant état des conclusions des États généraux contre le crime organisé, tenu à Rome l'an dernier, le Figaro rapportait: «La mafia n'est pas une fatalité. Se mobiliser contre elle est un devoir, l'unique moyen de retrouver sa dignité.»

La situation au Québec ne se compare évidemment pas à ce qui se passe en Italie. La nécessité et le devoir de mobilisation n'en existent pas moins.