Le discours était aussi prévisible qu'incontournable: Montréal, Québec et Ottawa vont faire tout ce qui est possible pour garder le Grand Prix du Canada à Montréal... à condition bien sûr de ne pas se mettre dans le trou.

Je ne mets aucunement en doute la sincérité de Michael Fortier, Raymond Bachand et Gérald Tremblay. Mais le fait est qu'ils n'ont pas le choix. Ils ne peuvent pas, au risque de passer pour des politiciens irresponsables, ne pas tenter de rescaper l'événement-phare de l'été touristique montréalais, branché sur le respirateur artificiel depuis son exclusion, mardi, du calendrier de la saison 2009 de Formule 1.

 

Pour les amateurs de sport automobile et l'industrie touristique montréalaise, l'implication rapide des gouvernements est encourageante, tout comme d'ailleurs l'appui à Montréal manifesté hier par certaines équipes de F1 et la volonté de M. Ecclestone de rencontrer rapidement (d'ici une dizaine de jours, chuchote-t-on) les décideurs politiques.

Est-ce à dire que ces derniers vont forcément plonger, une fois terminé l'examen du contrat qui liait Normand Legault et Bernie Ecclestone? Qu'ils vont assurément aller de l'avant, quand ils auront fini d'éplucher le budget d'opérations et les états financiers du Grand Prix? C'est moins évident.

Le monde entre dans une phase de ralentissement économique, pour ne pas dire de récession. Les finances de l'État promettent d'être plus serrées qu'elles ne l'ont été depuis longtemps. Les gouvernements n'accepteront pas de se lancer dans l'aventure s'ils en arrivent à la conclusion que des pertes financières importantes sont inévitables.

Personne ne conteste que le Grand Prix est une vitrine incomparable pour Montréal: quel autre événement permet de projeter dans le salon de dizaines, voire de centaines de millions de téléspectateurs les images d'icônes montréalais tels l'île Notre-Dame et le Mont-Royal? La réponse est simple: il n'y en a pas.

Mais cette publicité extraordinaire justifierait-elle des pertes de l'ordre de 25 ou 30 millions$ par an, comme celles qu'on observe en Australie, où une société étatique organise le Grand Prix de Melbourne? M'est avis que la réponse du contribuable - et des gouvernements - serait un non catégorique. Cela ne serait tout simplement pas «financièrement responsable», pour reprendre l'expression martelée par M. Tremblay.

Les trois niveaux de gouvernement versent autour de 3,5 millions$ par an au Festival de Jazz. Idem pour Juste pour rire. Combien vaut la survie du Grand Prix? Cinq, 10, 15 millions par an? On resterait là dans le domaine de l'acceptable. À Québec, le printemps dernier, la Société des Fêtes du 400e, financé par les gouvernements, a versé six millions au budget du championnat du monde de hockey. «Pour la visibilité», disait-on. Le Grand Prix, passablement plus regardé, mériterait sans doute une aide plus considérable.

Il faut aussi tenir compte des retombées fiscales. En 2003, alors que le Grand Prix était menacé par l'interdiction de la commandite du tabac, Québec (comme Ottawa d'ailleurs) avait accepté de verser une aide ponctuelle de six millions, qui assurait la survie de l'épreuve pour les trois années suivantes. Simple bon sens, avait dit le ministre d'alors, Jean-Marc Fournier. Comme les recettes fiscales générées annuellement par le GP s'élevaient alors à huit millions, la subvention de six millions en rapporterait 24 au Trésor public, au bout des trois ans.

C'est le genre d'analyse coûts-bénéfices à laquelle devront se livrer la Ville, le provincial et le fédéral au cours des huit prochaines semaines - l'échéancier avancé hier par M. Fortier. «Nous pourrions conclure que compte tenu des revenus que ça générerait pour Montréal, le Québec et le Canada, ce serait un bon investissement de l'argent des contribuables», a dit le ministre Fortier, à qui son homologue Bachand a immédiatement fait écho. «Il y a du vrai cash qui entre dans nos coffres à chaque Grand Prix, a-t-il dit. Il faut juste savoir combien de cash.»

Au final, il faudra aussi tenir compte d'une réalité incontournable: la facture va vite gonfler. Car la redevance qu'il faut verser pour faire venir la F1, soyez-en certains, augmente d'année en année. Quand on signe un contrat avec Bernie Ecclestone, on met un doigt dans le tordeur. C'est facile d'y laisser un bras.