On attendait avec une certaine impatience le dévoilement de la plateforme conservatrice pour voir comment le premier ministre Stephen Harper répondrait aux pressions de la crise financière mondiale et aux menaces qui pèsent sur notre économie.

Sur la forme, le chef conservateur a un peu ouvert son jeu et prend maintenant acte des incertitudes et des inquiétudes qu'elles engendrent. Mais sur le fond, il n'a pas changé et ne propose strictement rien. Sa plateforme contient quelques initiatives intéressantes pour promouvoir l'innovation dans les secteurs de l'automobile et de l'aéronautique ou pour éliminer les droits pour la machinerie. Mais face aux menaces économiques, son «plan» consiste à continuer de faire ce qu'il fait depuis deux ans et demi.

 

Ce refus de changer est troublant car il montre que l'espèce de jovialisme dont il faisait preuve depuis le début de la campagne était bien plus qu'un calcul électoral qui a mal tourné. On pouvait comprendre que M. Harper ne voulait pas exacerber les inquiétudes et qu'il souhaitait, par son flegme, projeter l'image d'un leader digne de confiance. Mais on voit bien maintenant que cette position, qui lui a été nuisible si on se fie aux derniers sondages, est le reflet d'un état d'esprit et d'une conception de l'économie.

Le problème, c'est que le monde a changé. Et que M. Harper, prisonnier de son dogme, semble incapable de s'adapter à ce changement. Cela amène à se demander si le gouvernement conservateur, qui sera vraisemblablement élu la semaine prochaine, sera à la hauteur de la situation si, et c'est une possibilité, l'économie se détériore.

Au point de départ, M. Harper a raison de garder son calme. Il est parfaitement exact, comme il le répète, que le Canada n'est pas les États-Unis, que notre système financier n'est pas menacé, que nous n'avons pas de crise immobilière, que les bases de l'économie canadienne sont solides, que les finances publiques sont saines.

Mais il est aussi évident que cette crise, sans déferler ici, va nous affecter par la bande, en faisant fondre les épargnes, en plongeant les États-Unis dans une récession dont nos entreprises exportatrices subiront les contre-coups. L'économie canadienne, qui tournait déjà très au ralenti, va aller encore plus mal. Ce qu'on ne sait pas, c'est jusqu'à quel point: un contexte difficile mais gérable, ou une détérioration plus sérieuse? À cet égard, M. Harper fait preuve d'un certain optimisme. Comme plusieurs économistes. C'est ce que je crois aussi.

Cependant, sera-t-il prêt si les choses tournent mal? Le chef libéral Stéphane Dion, lui, a proposé un plan, que M. Harper a dénoncé pour son improvisation. Le chef conservateur refuse de «gesticuler». Soit. Mais c'est le devoir d'un chef d'État d'être prêt à toute éventualité, d'être capable d'agir si le Canada résiste moins bien que prévu.

Le premier élément d'inquiétude vient du fait que le premier ministre ne semble pas «vite sur le piton» face à ce qu'il appelle les turbulences internationales. Il n'a pas vu venir, il n'a pas voulu changer de plan de match électoral. Il est donc légitime de se demander si, dans la vraie vie, le premier ministre ne manifestera pas les mêmes lenteurs d'adaptation.

La deuxième inquiétude tient à sa feuille de route. Pendant son bref règne de deux ans et demi, le gouvernement Harper a connu une crise, la montée rapide du dollar et son effet désastreux sur l'industrie manufacturière. Qu'a-t-il fait? Rien. Les ministres conservateurs n'ont même jamais parlé des effets de la montée du dollar. Et quand l'Ontario, très durement frappée, a osé se plaindre, au lieu de faire preuve de leadership, le ministre des Finances a réagi avec une hargne partisane.

La troisième source d'inquiétude, c'est le dogme conservateur lui-même, qui consiste à limiter le rôle de l'État dans l'économie à la gestion des finances publiques. Encore hier, interrogé sur sa réponse à la crise financière, M. Harper a répété que les Canadiens étaient confrontés à un choix: «Est-ce qu'on veut garder des taxes et des impôts bas, les budgets équilibrés, les dépenses contrôlées et axées sur des résultats ou est-ce qu'on veut des augmentations des dépenses et des taxes énormes, des déficits.»

Notre économie est peut-être menacée? Moi, je gère les finances publiques! Voilà une conception réductrice et simpliste du rôle d'un gouvernement.

Stephen Harper est seul. Ailleurs dans le monde, les quatre principaux dirigeants européens se sont rencontrés ce week-end pour définir une position commune face à la crise. Le président Bush est ouvert à un sommet du G8 sur la question. Et M. Harper propose le même plan qu'il y a deux ans!