Par moments, cela ressemblait beaucoup à un concept télévisuel hybride entre Parler pour parler de Janette Bertrand et le célèbre Dîner de cons français, mais le débat en français aura permis aux électeurs de jauger le caractère des chefs et leurs priorités.

Le « con » du dîner, évidemment, c'était Stephen Harper, qui s'est fait rentrer dedans toute la soirée avec un stoïcisme remarquable.

S'il faut absolument déclarer un vainqueur, ce serait probablement Gilles Duceppe, mais seulement en comptant le nombre de coups portés puisqu'il n'y a pas eu de knock-out.

Et encore, mince victoire, parce que Stéphane Dion a très bien fait ; Jack Layton a beaucoup mieux fait qu'en 2006, et même Elizabeth May a tiré son épingle du jeu.

Tous des vainqueurs, donc ? Non, en fait, c'est qu'il n'y a eu aucun perdant.

Le choix des électeurs, après ce débat, se fera sur deux approches. Celle de Stephen Harper, qui affirme que les bases fondamentales de l'économie sont solides et que, comme il l'a répété à maintes reprises « le Canada n'est pas les États-Unis ».

Difficile d'être en désaccord avec le chef conservateur là-dessus. Le Canada, en effet, n'est pas les États-Unis et, vrai, les bases économiques sont plus solides ici qu'au sud de la frontière.

Par ailleurs, que dirait-on, un soir d'un débat national, d'un premier ministre qui promet des jours sombres à son pays et qui agite devant ses concitoyens les épouvantails du marasme économique ?

Il a beaucoup été question d'économie dès le début de ce débat, dont on a même changé la formule pour insérer l'urgence de la crise financière. C'est ce que voulait M. Harper : parler d'économie, rassurer les électeurs, jouer les bons pères de famille. Si nous parlons tant d'économie dans cette campagne, alors que la « crise » n'a pas atteint le Canada, c'est aussi parce que M. Harper veut que cela devienne LA question de l'élection, ce que les anglophones appellent « the wedge issue ».

En ce sens, Stephen Harper s'est bien tiré d'affaire, malgré les attaques soutenues de ses quatre adversaires.

Stéphane Dion a tenté de prendre le devant de la scène avec un plan « surprise » en cinq points présentés dès son premier tour de parole, mais il a partiellement manqué sa cible. D'abord, parce que, faute de temps (les chefs n'avaient que 45 secondes en ouverture pour répondre à la première question), il n'a pu dévoiler que les trois premières étapes de son plan. Puis, parce qu'il n'a pas insisté suffisamment sur son plan par la suite.

Enfin, parce que son plan, qui se voulait une réponse d'action à la menace économique, repose en fait largement sur de la consultation et reste flou sur les détails.

M. Dion promet de consulter les organismes réglementaires et les économistes, il promet de convoquer une rencontre des premiers ministres et d'identifier les projets d'infrastructures porteurs économiquement et pour la création d'emplois.

Pas mauvais, du moins cela mériterait d'être débattu, notamment par les premiers ministres des provinces. Mais là où M. Dion aurait dû exposer ses solutions, il ne l'a pas fait. M. Dion promet en effet un énoncé économique dans les 30 premiers jours de son mandat, mais il n'a avancé aucune solution tangible dans son plan dévoilé hier soir.

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La soirée aura été longue, comme prévu, pour Stephen Harper. Regard fuyant, dos voûté, sourire crispé, il semblait fatigué en deuxième partie du débat.

On peut le comprendre. Le chef du Parti conservateur devait se sentir comme une cible dans un champ de tir.

Il n'y avait pas 10 minutes de passées que trois de ses adversaires, MM. Layton et Duceppe et Mme May, avaient vidé un premier chargeur sur le premier ministre.

Les tirs groupés ont souvent touché la cible. On a même assisté à des moments étonnants, Gilles Duceppe et Stéphane Dion main dans la main pour accabler Stephen Harper.

D'un grand calme dans la tempête, M. Harper s'en est tenu à son plan de match : avoir l'air d'un premier ministre, se tenir au-dessus de la mêlée.

Mission accomplie. Peut-être même un peu trop. Par moments, il semblait las. On ne lui demande pas d'être passionné, ce n'est pas son style, mais il avait vraiment l'air de s'emmerder hier soir.

M. Harper n'a probablement pas gagné un seul des huit thèmes en débat, se faisant même tabasser à propos de la culture, à propos de son attitude très partisane et, bien sûr, à propos de l'environnement et de la sécurité alimentaire.

Cela dit, il n'a pas trébuché non plus. Aura-t-il échappé des électeurs tentés de voter conservateur hier soir ? Peut-être, mais ce n'est certainement pas faute d'avoir fait des efforts pour rassurer les Québécois - surtout les Québécoises - frileux à son égard. Ce sera davantage parce qu'il n'a pas su amener un seul élément nouveau favorable au Québec, parce qu'il n'a pas eu la présence d'esprit d'envoyer le message qu'il renversera la vapeur dans les coupes en culture.

Gilles Duceppe, avantagé par sa grande expérience et une connaissance poussée des dossiers du Québec, a été solide. En particulier quand il a parlé de certaines réalisations du Bloc, dont la loi antigang, et quand il a reproché à Stephen Harper sa campagne publicitaire contre les coûts du Bloc.

Le chef du Bloc aura aussi marqué des points en dénonçant l'approche conservatrice en environnement et ses programmes d'aide aux travailleurs.

Le téléspectateur attentif aura peut-être remarqué que M. Duceppe insiste beaucoup pour appeler le premier ministre « M. Harpeur ». Probablement un lapsus...

Stéphane Dion, quant à lui, s'est très bien tiré d'affaire, pour une recrue. Clair, précis, parfois un peu trop pour un « show » de télé, mais il avait le bon ton, il avait laissé son air hautain de prof d'université.

C'est peut-être cette approche cool du chef libéral qui a incité le modérateur-animateur, Stephan Bureau, à appeler Stéphane Dion « Stéphane » toute la soirée.

Par moments, on s'attendait presque à voir Violette arriver dans le studio pour servir le thé aux chefs.

Vraiment, un drôle de débat...