Une autre tuile s'abat sur le CHUM. Les spécialistes du ministère de la Santé travaillent maintenant sur un scénario où l'on raserait carrément l'hôpital Saint-Luc, au lieu d'essayer de le rénover pour l'intégrer au nouvel établissement hospitalier.

Les médecins spécialistes avaient des problèmes avec le projet du CHUM. Ce sont maintenant les ingénieurs qui semblent avoir des problèmes. Y a-t-il vraiment quelqu'un quelque part qui croit encore que le raboudinage de Saint-Luc est la meilleure solution pour doter Montréal d'un hôpital francophone de pointe?

 

Ce nouveau scénario sur lequel travaillent les fonctionnaires ne devrait étonner personne. Dès le choix du site de Saint-Luc, de nombreux spécialistes avaient noté que cette idée de faire du neuf avec du vieux, d'intégrer de nouvelles constructions à un vieux bâtiment, soulevait une foule de problèmes techniques, et donc financiers. Les écueils étaient tels que la rénovation de Saint-Luc a été exclue du partenariat public-privé.

Ce que nous apprenons maintenant, c'est que les risques sont plus importants qu'on aurait pu le croire. Que le projet de construction du CHUM sera sans doute un long chemin de croix. Et que le rêve de voir un jour ce grand projet milliardaire susciter une adhésion enthousiaste s'éloigne encore un peu plus.

Ça amène à poser la question suivante: qu'est-ce qu'on fait maintenant? Continuer contre vents et marées à poursuivre un projet qui est et qui restera boiteux? Ou recommencer pour repartir du bon pied? Et donc abandonner Saint-Luc et revenir au projet d'Outremont, ou à un autre site, où il sera possible de doter Montréal de ce dont la métropole a besoin, un grand hôpital du XXIe siècle, à la fine pointe de la technologie, capable de soutenir ses obligations d'enseignements et de soutenir la recherche. Où il y aura l'espace nécessaire pour le développement.

On comprend les réticences à rouvrir ce dossier. Parce que changer de formule, c'est prolonger les délais de réalisations, accepter des coûts additionnels, et surtout, relancer un débat qui a été déchirant et pénible. Mais on peut poser la question parce que le contexte a changé.

Tout d'abord, au plan technique, le fait qu'on songe à raser Saint-Luc montre qu'on est prêt à revoir le projet de façon assez radicale. Cette hypothèse représente un changement important du concept, des plans, de la programmation de la construction. Tant qu'à revenir sur la planche à dessin, pourquoi ne pas le faire comme il faut.

Dans un monde idéal, c'est ce que nous ferions. Mais nous ne vivons pas dans un monde idéal, mais plutôt dans l'univers imparfait de la démocratie. Politiquement, revenir en arrière peut être difficile. C'est admettre une erreur, provoquer des retards qui feront craindre que l'hôpital ne verra jamais le jour. Et surtout, relancer de difficiles discussions. L'erreur qui a mené au choix de Saint-Luc était politique. Les obstacles pour la corriger sont également politiques.

Mais le contexte politique n'est plus le même. La férocité du débat sur le choix d'un site, qui a forcé le gouvernement à abandonner le projet d'Outremont et à opter pour le centre-ville, s'expliquait largement par la faiblesse du premier ministre Charest à cette époque.

D'abord, faiblesse à l'interne, où le premier ministre devrait composer avec un climat de fronde et de règlement de comptes. Son puissant ministre de la Santé, Philippe Couillard qui, dans son opposition au site d'Outremont, ne tenait pas compte de son potentiel de développement économique et scientifique, et qui rêvait de remplacer son chef. Son prédécesseur à la tête du Parti libéral, Daniel Johnson, dont la vigoureuse intervention en faveur de Saint-Luc a joué un rôle déterminant. Les couteaux volaient bas.

Ensuite, faiblesse à l'externe, où le premier ministre devait affronter une mobilisation des forces syndicales et des courants de gauche qui, pour des raisons mystérieuses, ont transformé en croisade délirante leur bataille contre le site d'Outremont.

Mais M. Charest est maintenant bien en selle, dans son parti et dans la société. Il pourrait plus facilement faire valoir le fait qu'un projet qui dispose de l'espace nécessaire, qui suscite l'adhésion du monde médical, qui peut compter sur des éléments de synergie avec les milieux économiques, servira mieux les patients et pourra mieux servir de levier pour la région montréalaise.

Un grand hôpital, ça se construit pour un demi-siècle. Il ne faut pas que, pendant 50 ans, les Montréalais aient à vivre avec un projet imparfait pour des raisons qui, d'ici quelques années, seront vides de sens.