Jeudi matin, 8h30, centre-ville de Montréal. Le chef conservateur, Stephen Harper, entre dans une salle froide d'un grand hôtel pour prononcer un discours devant quelques centaines de membres de la jeune chambre de commerce à moitié endormis.

Au fond, des dizaines de journalistes et de techniciens sont entassés avec le personnel de campagne de M. Harper. Un nombre impressionnant de gardes du corps de la GRC sont postés à l'intérieur et à l'extérieur de l'hôtel.

Moins d'une heure plus tard, tout ce beau monde se dirige lentement vers des dizaines de véhicules qui encombrent les rues du centre-ville, dont trois autocars (dont le moteur tourne pratiquement toujours, même à l'arrêt), pour se déplacer lourdement vers le lieu de la conférence de presse quotidienne, dans un autre hôtel... à moins de 100 mètres.

Bonjour efficacité! Bonjour Kyoto! Et bonjour innovation.

Les partis politiques parlent beaucoup de vision, d'action et de changement pendant les campagnes électorales, mais quand vient le temps d'organiser ces campagnes, ce sont de vrais dinosaures.

On appelle cela des caravanes électorales, mais la lourdeur de ces cortèges tient plus des colonnes de blindés en zone de guerre que des bucoliques défilés de bédouins.

Après avoir péniblement quitté le centre-ville de Montréal, la caravane de Stephen Harper s'est déplacée vers Saint-Eustache, dans un joli vignoble. Le côté champêtre de la mise en scène des conservateurs a rapidement cédé le pas au surréalisme des campagnes. M. et Mme Harper plantés entre deux rangées de vignes avec le propriétaire des lieux, protégés par une haie d'agents de la GRC chargés de garder les importuns (surtout les journalistes) à bonne distance.

Après un court discours, M. Harper et sa cour ont remonté dans les autocars, et la colonne de chars est repartie vers l'aéroport. Ce n'est pas la peine de se donner tout ce mal si le premier ministre reste aussi inaccessible.

Le pire, c'est que malgré toute cette organisation, toute cette logistique, M. Harper a vu sa journée bousillée par un simple courriel de sept mots envoyé le matin à un journaliste de CTV par son directeur des communications depuis le quartier général d'Ottawa. Du coup, l'arrêt suivant, à Saint-Eustache, aura d'abord servi, pour M. Harper, à tenter de corriger la gaffe de son employé.

Stéphane Dion aussi a connu des problèmes logistiques en cette première semaine de campagne, notamment parce que son parti a commencé la tournée sans avion. Gros embarras pour un parti national.

Pendant ce temps, sur l'Internet, une petite révolution virtuelle prenait forme et allait, en quelques jours seulement, propulser Elisabeth May au débat des chefs. C'est donc le plus petit des grands partis qui aura réussi, sans y mettre un sou ni enrôler une armée de stratèges, le meilleur coup à ce jour.

Grande victoire pour les verts et grosse leçon pour les «vieux» partis.

Bien sûr, les chefs devront continuer de se déplacer, de se faire voir dans les principales régions du pays. Bien sûr, l'Internet ne peut pas tout faire. Mais il devient gênant pour les grands partis de déployer tant de moyens et de déplacer des caravanes aussi lourdes pour ne rencontrer, le plus souvent, que des poignées de militants, alors qu'un parti dit «marginal» a réussi à mobiliser virtuellement des centaines de milliers de personnes. Et, ainsi, à marquer des points cruciaux.

Gênant et coûteux. Les grandes campagnes sont sur le point de devenir carrément inaccessibles pour les médias. Une place pour toute la campagne coûte environ 42 000$ cette année (c'était 30 000$ en 2006); 10 000$ par semaine ou 2200$ par jour à bord des avions (1500$ en 2006). Faites le calcul pour un média décidé à suivre les conservateurs, les libéraux et le NPD.

Les campagnes sont lourdes, chères, mais elles ratent aussi le plus souvent leur objectif: rejoindre les électeurs. En fait, les campagnes sont devenues de grosses créatures paranoïaques qui réagissent aux médias, plutôt que l'inverse. C'est la queue qui branle le chien, comme disent les anglophones.

Voilà ce qui avait fait la fortune de Stephen Harper, lors de la dernière campagne: il «contrôlait le message», s'était-on émerveillé. Pourtant, ce devrait être la norme, pas l'exception. Le principal problème des campagnes électorales, c'est qu'elles sont dirigées non pas par les chefs, mais par leur war room, par leurs faiseurs d'image, par leurs sondeurs, bref, par un paquet de gens que l'on ne voit jamais et qui essayent de «marketer» leur chef comme on le fait pour une voiture ou pour du dentifrice.

Curieux, tout de même: la technologie permet de plus en plus de rapprochements entre le commun des mortels, mais nos chefs politiques, eux, semblent de plus en plus désincarnés.

Comment moderniser - peut-être même révolutionner - les campagnes électorales?

Gros défi, mais c'est certain que les nouvelles technologies de communication doivent être mises à profit. Après plusieurs années de timides expérimentations, nos partis politiques ne savent toujours pas vraiment se servir de l'Internet. Cela frappe quand on analyse ce que Barack Obama a su tirer de cet outil. Et même le malheureux Howard Dean, il y a déjà près de cinq ans.

Les partis politiques sont condamnés à innover, surtout s'ils veulent freiner l'exode électoral des jeunes.

Ils pourraient commencer par éliminer les affreuses et encombrantes pancartes qui défigurent le paysage (presque en permanence à cause de la multiplication des élections).

Hier matin, en courant sur la piste cyclable du boulevard Gouin, j'ai bien failli me faire écraser la tête entre le rétroviseur d'un autobus et une énorme pancarte de la bloquiste Maria Mourani.

Vous imaginez un peu les manchettes, ce matin: un chroniqueur de La Presse décapité par une pancarte du Bloc québécois...

Ne souriez pas, M. Duceppe.