Deux ans et demi après l’apparition de la COVID-19, environ 5 % des Québécois présentent toujours sa version invalidante, la COVID longue. Un tiers d’entre eux vont avoir des symptômes persistants pendant plus d’un an.

Depuis juin, Bianca Drysdale ne peut pas sortir de sa chambre. Elle n’a pas l’énergie pour se lever ni pour parler. Lorsqu’elle se tourne dans son lit, son pouls augmente brutalement, comme si elle courait un marathon. Aucun médicament n’arrive à venir à bout de ses migraines. Bianca est atteinte de COVID-19 longue.

C’est un dimanche soir de septembre. Le temps est maussade. Michael Grenier Delorme vient d’aller coucher ses trois jeunes enfants. Il est prêt à raconter l’histoire de sa conjointe, qui n’est pas en mesure de le faire elle-même. « C’est important d’en parler, parce que ces gens doivent être pris en charge et afin que leur souffrance cesse », dit-il d’emblée.

Bianca Drysdale, 31 ans, a contracté la COVID-19 en avril dernier, lors d’une soirée entre amis. Les premiers jours, la mère de famille doublement vaccinée se portait bien. « C’était des symptômes très doux, comme un mal de gorge », se remémore Michael.

Le cauchemar a commencé trois semaines plus tard. « Elle avait des palpitations. Elle tombait par terre et tremblait », dit-il.

Elle s’est rendue aux urgences, où elle a passé des examens de tomodensitométrie (scans) et subi des prises de sang. Les résultats de ses tests médicaux se sont révélés normaux, mais son état a continué de se détériorer : fatigue extrême, maux de tête et migraines en continu, étourdissements, augmentation brutale de son pouls dès qu’elle fait le moindre effort, hypersensibilité aux sons.

Symptômes les plus fréquents associés à la COVID-19 longue

  • Fatigue
  • Troubles de mémoire
  • Troubles de sommeil
  • Essoufflement
  • Anxiété et dépression
  • Douleur et inconfort en général
  • Brouillard cérébral
  • Difficulté à réfléchir ou à se concentrer
  • Trouble de stress post-traumatique (TSPT)

SOURCE : Gouvernement du Québec

Depuis juin, Bianca Drysdale est alitée du matin au soir dans sa chambre sans le moindre stimulus, sans quoi son état s’aggrave.

Elle ne sort jamais. C’est moi qui vais lui porter les repas dans sa chambre.

Michael Grenier Delorme, conjoint

Elle passe à peine 10 minutes par jour avec ses enfants. « C’est atroce pour une mère », lance Michael. Quand ses trois enfants en bas âge viennent la visiter dans sa chambre, elle porte des bouchons, ferme les yeux et se colle doucement à eux. « Un son ou un mouvement trop brusque, ça vient l’agresser », dit-il.

Pour économiser le peu d’énergie qui lui reste, elle choisit minutieusement les moments où elle parle. « Appeler à la pharmacie pour une information ou annuler un rendez-vous, c’est son activité de la journée », explique Michael. Quitter son lit pour prendre son portrait avec le photographe de La Presse a représenté un effort colossal.

Chaque fois qu’elle doit se rendre à un rendez-vous médical, son état se dégrade. Elle peine à obtenir des services.

Son médecin dit que c’est probablement dû à l’infection de la COVID-19, mais il ne lui donne pas de diagnostic clair. Elle est laissée à elle-même.

Michael Grenier Delorme

Pas rare

« Des cas comme ceux-là, ils ne sont pas rares », dit le DAlain Piché, infectiologue au CIUSSS de l’Estrie – CHUS et directeur de la Clinique ambulatoire post-COVID à Sherbrooke.

Le médecin suit plusieurs patients qui ont des atteintes fonctionnelles sévères.

PHOTO FOURNIE PAR L’UNIVERSITÉ DE SHERBROOKE

Le Dr Alain Piché, infectiologue au CIUSSS de l’Estrie

Juste faire des activités de la vie quotidienne, ça va entraîner des malaises. Prendre une douche, c’est leur activité de la journée.

Le DAlain Piché, directeur de la Clinique ambulatoire post-COVID à Sherbrooke

En décembre 2021, avant la cinquième vague et l’arrivée de nouveaux variants, le ministère de la Santé et des Services sociaux estimait qu’environ 23 000 personnes étaient atteintes de COVID longue.

Deux ans et demi après l’apparition du virus, la COVID longue continue de faire quotidiennement de nouvelles victimes. « Actuellement, en tenant compte de la vaccination et des variants présents, 5 % des cas vont donner un cas de COVID-19 longue », indique Simon Décary, professeur et chercheur à la faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke.

« En janvier, on s’était demandé si la COVID longue allait disparaître avec l’arrivée d’Omicron, puisqu’il était très différent des variants précédents. Elle n’est pas disparue », dit M. Décary.

La vaccination n’a pas réussi à éradiquer la maladie, bien qu’elle ait évité quelques cas.

La vaccination offre une protection qui tourne autour de 15 à 50 %, selon les études. On peut donc avoir des cas de COVID-19 longue quand même.

Simon Décary, professeur et chercheur à la faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke

C’est le cas de Valérie Bergeron, qui a contracté la COVID-19 en février dernier, lors d’un entraînement au gym. Malgré ses trois doses de vaccin contre la COVID-19, le virus a laissé de lourdes séquelles. La femme de 48 ans, qui adorait faire quotidiennement son jogging le matin, doit maintenant apprendre à vivre avec une fatigue extrême, des douleurs musculaires et des problèmes de mémoire.

Son médecin de famille n’a aucune idée du traitement nécessaire qui pourrait l’aider. « C’est beaucoup d’essais et erreurs. Les tests sanguins sont beaux. Les médecins ne savent pas quoi faire avec ça », dit-elle.

À la suite de son infection, Valérie Bergeron a contracté une pneumonie qui lui a fait perdre la voix pendant quatre mois. « Encore aujourd’hui, je la perds parfois », dit-elle. Elle a utilisé des pompes, huit fois par jour, jusqu’à la fin mai.

« J’ai continué à travailler, mais toujours en étant extrêmement fatiguée et en ne faisant plus d’exercice physique », raconte Mme Bergeron. Ne voyant pas ses symptômes s’améliorer, la directrice financière est tombée en arrêt de travail le mois dernier.

Le regard des autres pèse lourd.

Les gens me regardent comme si le problème était dans ma tête. Ils ne voient pas que je souffre et que j’ai mal partout. D’autres reculent quand je leur dis, comme si j’étais contagieuse.

Valérie Bergeron

La Santé publique affirme qu’une personne atteinte de COVID longue n’est pas contagieuse et ne peut pas transmettre le virus.

Même ses assurances semblent douter de son état. « Ils sont extrêmement suspicieux. Ils disent qu’ils vont me couvrir pour un mois, mais qu’ils ne sont pas certains pour le mois prochain. Ça ajoute au stress. C’est dur mentalement », affirme-t-elle.

Chose certaine, « il y a encore beaucoup d’éducation à faire auprès des professionnels de la santé et de la population pour sensibiliser les gens à cette nouvelle problématique », conclut le DPiché.

« Brouillard cérébral »

De nombreuses personnes souffrant de COVID longue éprouvent une sensation de « brouillard cérébral ». Ce brouillard peut prendre différentes formes comme des pertes de mémoire, des difficultés de concentration, une sensation de fatigue intellectuelle, des oublis fréquents, une sensation d’être au ralenti, ainsi que des difficultés à résoudre des problèmes.

« La COVID-19 m’a énormément hypothéquée »

PHOTO FOURNIE PAR NATHALIE BOUCHER

« Ça va mal », dit Nathalie Boucher, qui est atteinte de la COVID longue depuis plus d’un an.

Bien que certaines personnes souffrant de la COVID longue aient récupéré de façon naturelle au fil des mois, d’autres ne voient aucun signe d’amélioration, même deux ans après leur infection. Leurs chances de se rétablir naturellement sont de plus en plus faibles, craignent des spécialistes.

Quand on lui demande comment elle va, Nathalie Boucher ne passe pas par quatre chemins. « Ça va mal. Je commence ma deuxième année sous peu. J’essaie d’être positive, mais il n’y a pas d’amélioration, dit-elle en ravalant ses sanglots. La COVID-19 m’a énormément hypothéquée. Ça m’a coupée de tout. »

Nathalie a contracté le virus au travail, en décembre 2020, dans une résidence privée pour aînés de l’Outaouais. Dans les jours suivant son infection, elle avait des palpitations, des douleurs aux jambes et aux bras, des maux de tête, des nausées, un brouillard cérébral et une perte du goût. Près de deux ans plus tard, elle a toujours tous ces symptômes. « Ça ne s’est jamais amélioré », dit-elle, le souffle court.

Elle n’est pas seule. Environ 30 % des personnes atteintes de la COVID longue vont avoir des symptômes significatifs après 12 mois, indique le professeur et chercheur à la faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke, Simon Décary.

Les études ne sont pas encourageantes pour les personnes qui ont des symptômes depuis plus de deux ans.

Il pourrait y avoir de la récupération naturelle, mais on est un peu moins optimiste. C’est pour ça qu’il faut développer des traitements pharmacologiques.

Simon Décary, professeur et chercheur à la faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke

De longues absences

Entre mars 2020 et fin août 2022, 1252 travailleurs se sont absentés plus de trois mois en raison de la COVID longue, selon les données de la CNESST obtenues par La Presse. Parmi ceux-ci, 733 travailleurs demeurent en arrêt de travail.

Par ailleurs, 766 travailleurs ont reçu une indemnisation du revenu de la CNESST pendant plus de six mois. Parmi ceux de retour au travail, leur durée moyenne d’absence était de 320 jours.

Ces données ne représentent toutefois qu’une partie des arrêts de travail, puisque la CNESST ne couvre que les personnes ayant contracté le virus dans le cadre de leur travail.

Les assurances collectives demeurent discrètes sur le nombre de travailleurs couverts pour la COVID longue. Chez Desjardins Assurances, on indique que 2 % des réclamations en lien avec la COVID-19 sont de plus de 90 jours. Beneva, Industrielle Alliance, Sun Life, Manuvie, Canada Vie et l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes n’ont fourni aucune donnée sur le nombre de réclamations.

Incapable de travailler

Cäcilia Lauenstein obtient les indemnités de la CNESST depuis deux ans. Lorsqu’elle a contracté la COVID-19 en septembre 2020, elle était étudiante à la maîtrise et enseignante de musique. « J’avais mille projets en même temps », dit la femme de 46 ans.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Cäcilia Lauenstein

Dans les premiers jours suivant son infection, elle avait des symptômes normaux de grippe. « Je m’attendais à retourner à l’école », dit-elle. Deux semaines plus tard, elle s’est réveillée en détresse respiratoire, puis a développé des problèmes cardiaques et de la haute pression. Depuis septembre 2021, elle se déplace en fauteuil roulant lorsqu’elle quitte son domicile. À l’intérieur de la maison, elle utilise une chaise de bureau avec roulettes.

Parmi les patients qui ont toujours des symptômes un an après l’infection, de 25 à 35 % sont incapables de travailler, indique le DPiché. Environ 75 % doivent réduire leurs heures de travail d’au moins 50 %.

PHOTO FOURNIE PAR JESSICA HARVEY

Jessica Harvey

C’est le cas de Jessica Harvey, une éducatrice spécialisée qui a contracté la COVID-19 en mars 2021. Aujourd’hui, elle ne travaille que deux matinées par semaine. « Je veux retourner travailler. J’adore mon emploi. Mais mon corps n’est pas capable de faire plus que ça. »

Elle doit vivre quotidiennement avec des maux de tête, des étourdissements, des courbatures et une hypersensibilité au bruit. « Je mets des bouchons pour travailler pour couper le plus de bruits possible », dit-elle.

En savoir plus
  • 15
    Nombre de cliniques vouées à la prise en charge des symptômes de la COVID longue qui verront le jour cet automne à travers la province
    20,5 millions
    Financement accordé par le gouvernement du Québec pour soutenir la mise sur pied de ces cliniques
    Source : Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec
  • 128,1 millions
    Total des sommes versées par la CNESST pour des lésions professionnelles liées à la COVID-19 entre le 9 mars 2020 et le 4 septembre 2022.
    Source : CNESST