(Ottawa) Il risque d’être difficile de porter en appel le récent jugement de la Cour supérieure du Québec sur l’obligation vaccinale imposée par le gouvernement fédéral aux employés du secteur des transports, selon deux constitutionnalistes consultés par La Presse. Le Syndicat des Métallos a 30 jours pour se décider.

« Il n’y a pas beaucoup d’espoir parce que les seuls qui ont gagné une cause en matière de droits et libertés liés à la COVID depuis le début, c’est la cause des itinérants », rappelle le professeur de droit de l’Université Laval Patrick Taillon. En janvier 2021, la juge Chantal Masse de la Cour supérieure avait suspendu temporairement l’application du couvre-feu aux personnes sans-abri.

« Tout le monde frappe un mur, donc jusqu’où ces organisations-là voudront investir des ressources dans un combat de principe qui a l’air un peu perdu d’avance, du moins pour le moment ? », ajoute-t-il.

Je crois qu’il y aura une espèce de retour du balancier de la jurisprudence éventuellement, mais pour le moment, on n’en est pas là.

Patrick Taillon, professeur de droit de l’Université Laval

La vaccination obligatoire avait été imposée le 30 octobre 2021 par le gouvernement de Justin Trudeau, soit en plein cœur de la quatrième vague de COVID-19. Elle s’appliquait aux fonctionnaires fédéraux et aux employés du secteur des transports aérien, ferroviaire et maritime. Elle a été abandonnée il y a quelques semaines, le 20 juin 2022.

Le Syndicat des Métallos, affilié à la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), a contesté l’application de cette politique dans les transports sous réglementation fédérale. Un employé qui refusait de se faire vacciner pour des motifs autres que religieux ou médicaux pouvait être suspendu sans solde ou congédié sans mesures d’accommodement.

Une mesure constitutionnelle, dit la Cour supérieure

Dans sa décision rendue mardi, le juge Mark Phillips estime que la vaccination obligatoire imposée par le gouvernement fédéral aux employés du secteur des transports aérien, ferroviaire et maritime est constitutionnelle. Il conclut que cette mesure de santé publique « va dans le sens de l’intérêt public », qu’elle est « efficace » et qu’elle « a permis d’éviter des problèmes très graves ».

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Benoît Pelletier, professeur de droit de l’Université d’Ottawa

« C’est une décision qu’il va être difficile de renverser en appel, mais ça ne veut pas dire que ça ne mériterait pas un appel éventuellement », reconnaît à son tour le professeur de droit de l’Université d’Ottawa Benoît Pelletier, ex-ministre dans le gouvernement de Jean Charest.

M. Pelletier note que le jugement est conforme à la jurisprudence et que « les tribunaux sont très, très prudents avant d’exercer un contrôle judiciaire » en situation d’urgence.

La décision du juge Phillips ne portait pas sur la vaccination obligatoire des fonctionnaires fédéraux. Benoît Pelletier a critiqué à maintes reprises l’application de cette politique « tous azimuts » à l’ensemble de la fonction publique.

« C’est le constitutionnaliste qui parle, pas la victime de la COVID », rappelle celui qui a passé 56 jours dans le coma l’an dernier.

Contrairement au secteur des transports sous réglementation fédérale où la plupart des employés doivent être sur place pour effectuer leurs tâches, de nombreux fonctionnaires fédéraux peuvent travailler à distance et ne font pas affaire avec le public. Il aurait donc été plus facile de trouver des mesures d’accommodement, selon lui.

Un jugement « solide et étoffé »

Le juge Phillips fait la démonstration que l’obligation vaccinale pour les employés du secteur des transports passe les deux tests de la Charte canadienne des droits et libertés pour déterminer si elle est conforme à l’article 7 qui garantit le « droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne ».

« C’est un jugement quand même assez solide et étoffé qui vient vraiment dire que le fédéral est en droit d’imposer la vaccination dans des circonstances comme les nôtres et ce n’est pas juste “en attendant que” », constate Patrick Taillon.

Ce sont quand même des bases, sans dire permanentes, qui vont au-delà d’un rapport temporaire à une crise qu’on n’avait pas prévue.

Patrick Taillon, professeur de droit de l’Université Laval

D’abord, le juge de la Cour supérieure conclut que cette mesure respecte les principes de justice fondamentale, donc qu’elle n’est pas arbitraire, n’a pas une portée excessive et est proportionnée à l’objectif de santé publique du gouvernement.

Ensuite, il juge qu’elle respecte aussi les quatre critères établis par la jurisprudence pour que la cour considère une violation de ces droits fondamentaux comme étant justifiée : la poursuite d’un objectif « urgent et réel », le lien rationnel entre cet objectif de santé publique et la vaccination obligatoire, la mesure la moins attentatoire, et si ses effets bénéfiques excèdent ses effets néfastes.