En deux ans de pandémie, ils n’ont jamais attrapé le virus responsable de la COVID-19. Certains ont fait une gestion particulièrement serrée de la pandémie, étant donné leur état de santé, mais d’autres, pas du tout. Comment l’expliquer ? Si peu de réponses sont encore connues, une étude internationale sur ces « résistants à l’infection » tente d’élucider le mystère.

« Un peu à la blague avec mes amis, on disait que j’étais invincible à la COVID-19. Tout le monde l’a eue autour de moi ou presque, mais pas moi », lance Laurence Taschereau.

Malgré la COVID-19, au cours des derniers mois, la jeune étudiante a continué d’aller à ses cours tous les jours, en voyant aussi fréquemment des amis, des proches et des collègues de travail. Au plus fort de la cinquième vague, sa colocataire a même attrapé le virus, mais rien n’y a fait.

« On avait pris la décision que j’allais rester dans l’appartement avec elle, pendant au moins une semaine. Je me souviens que je m’étais dit : “Enfin, je vais l’avoir.” Cette semaine-là, j’ai fait au moins quatre tests rapides, et c’était toujours négatif. Je n’ai jamais eu de symptômes non plus », raconte l’étudiante, qui avoue toutefois n’avoir jamais pu confirmer son diagnostic par un test PCR, comme la plupart des Québécois. « À part quelques maux de gorge, je pense que je n’ai même jamais eu la grippe dans ma vie », ajoute-t-elle, en disant ignorer pourquoi elle « résiste » aux virus de manière générale.

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Laurence Taschereau, qui habite Rosemont–La Petite-Patrie

Comprendre « la base génétique »

Le cas de Laurence Taschereau est bien loin d’être unique, au Québec et partout dans le monde. « Il y a des personnes qui semblent très exposées et qui, pour toutes les raisons, devraient être infectées. Pourtant, elles ont fait des tests pour la COVID, et ils ont toujours été négatifs. Cela suggère qu’elles ne sont pas infectées ou, ce qui est peut-être plus juste, qu’elles sont résistantes à l’infection », affirme le DDonald Vinh, infectiologue-microbiologiste au Centre universitaire de santé McGill.

Avec plusieurs autres chercheurs, il participe à l’étude du consortium international COVID Human Genetic Effort. Son objectif et celui de ses collègues est simple : « comprendre la base génétique et moléculaire de cette apparente résistance ».

Une chose demeure d’emblée certaine : « Le virus doit se fixer et pénétrer dans nos cellules – c’est l’étape de l’infection –, après quoi il peut ou non provoquer une maladie grave », explique le DVinh. Son groupe a donc d’abord « identifié les fondements moléculaires qui expliquent pourquoi certaines personnes développent une COVID sévère après l’infection, alors que d’autres, non ». « Nous étudions également les bases moléculaires d’autres manifestations de la COVID, comme le syndrome multi-inflammatoire observé chez les enfants et les adultes », indique-t-il.

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Donald Vinh, infectiologue-microbiologiste au Centre universitaire de santé McGill

Pour y arriver, les experts recherchent plus précisément des personnes « qui ont été exposées de manière significative » à la COVID-19 sans être infectées, par exemple en ayant été en contact avec un membre de la famille ou un colocataire déclaré positif. Dans le cadre de l’étude, on privilégie surtout les sujets non vaccinés, qui auraient en théorie un risque encore plus grand d’avoir la maladie.

« Chez ces personnes, nous effectuerons différents tests immunologiques pour confirmer que leur système immunitaire n’a jamais vu la COVID, c’est-à-dire qu’elles n’ont jamais été infectées. Ces personnes peuvent être résistantes à la maladie, et nous déterminerons s’il existe une base génétique à leur résistance », illustre Donald Vinh.

Jamais touchés par le virus

Le Montréalais Raphaël Young a aussi été épargné par le virus jusqu’ici. « La première année, comme tout le monde, je faisais vraiment attention. Mais cette année, j’ai retrouvé mes amis, je suis allé à des spectacles, j’ai été exposé à des masses de gens. On peut dire qu’avec les deux derniers variants, j’ai fait moins attention. Mais je n’ai jamais eu de symptômes ni de tests positifs », confie-t-il.

Comme Laurence, Raphaël a aussi été directement exposé au virus, lorsque sa conjointe, avec qui il habite, l’a contracté. « J’ai vraiment été surpris de ça, parce que c’était une exposition directe, mais tous les tests antigéniques que j’avais revenaient négatifs. Et je n’ai jamais rien senti. Je me dis que c’est possible que j’aie été asymptomatique à un moment donné », dit-il.

Atteinte de la fibrose kystique, Nathalie Montpetit fait pour sa part une gestion très serrée de ses contacts sociaux depuis le début de la pandémie. « Depuis le 7 mars 2020, j’ai dû sortir huit fois de chez moi, soit pour mes vaccins, pour un rendez-vous à l’hôpital, et une fois pour aller voter. Le reste du temps, je reste sur mon terrain. Pour moi, le virus peut être très dangereux », confie-t-elle.

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Nathalie Montpetit est atteinte de la fibrose kystique.

« Beaucoup de gens ne réalisent pas que quand on a un système immunitaire affaibli, on ne prend pas ce virus comme une grippe, comme quelque chose qui peut nous arrêter quelques jours. Moi, si je n’ai jamais eu le virus, c’est parce que j’ai vraiment fait très attention », conclut Mme Montpetit.

Pas d’étude gouvernementale

Au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), la porte-parole Marjorie Larouche confirme que le gouvernement « ne mène pas d’étude » sur les résistants à la COVID-19 pour le moment, préférant laisser les chercheurs internationaux établir certains grands paradigmes. « Cependant, nos experts font une veille constante des données scientifiques disponibles », précise-t-elle.

Professeur et chercheur spécialisé en immunologie et en virologie de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), Alain Lamarre rappelle toutefois que le contrôle immunitaire de la COVID-19 est « une source incroyable de recherche scientifique », car très peu de réponses sont encore connues.

« Bien comprendre le phénomène des elite controllers, en anglais, ça serait quelque chose d’assez gros. J’espère qu’on pourra un jour expliquer comment des gens sont capables de résister à une exposition à un virus pourtant très contagieux », conclut-il.