Qu’est-ce que la pandémie a révélé de la société québécoise ? Que ses citoyens sont de bons soldats disciplinés, prudents et capables de s’adapter. Mais aussi assez centrés sur eux-mêmes et pas particulièrement résilients, résument les penseurs interrogés.

« Nous avons été dociles ! », résume en riant Guy Rocher, pionnier de la sociologie au Québec. « Les Québécois ont été beaucoup plus disciplinés que je ne l’aurais cru. Ils se sont fait vacciner en grand nombre et ils ont accepté le couvre-feu, ce qui était impensable dans d’autres provinces. »

La pandémie a aussi révélé une société hautement inégalitaire, surtout à l’égard de ses enfants, se désole-t-il. « Les élèves qui fréquentent une école privée ont vite eu accès aux outils nécessaires pour poursuivre leur scolarité. Dans les écoles publiques, ce n’était pas aussi organisé. Nous sommes loin de la réforme du système d’éducation que nous avons voulue dans les années 1960. »

À l’autre bout de la vie, la COVID-19 a aussi révélé au grand jour combien toutes les personnes âgées n’étaient pas dans le même bateau. Âgé de 97 ans et vivant avec sa femme à la maison, Guy Rocher fait observer que sa pandémie n’a rien eu à voir avec cette mort que ses contemporains en CHSLD ont vue de trop près.

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Guy Rocher, sociologue

Malheureusement, nos soins à domicile sont très peu développés, tellement moins qu’en France. Et une fois qu’on a placé ses vieux parents, le réflexe est de penser que quelqu’un d’autre s’occupe d’eux.

Guy Rocher, sociologue

Résilients, les Québécois ? Pas trop aux yeux de Guy Rocher, qui a sourcillé en entendant des gens dire que leur liberté était brimée et leur vie, chamboulée. « Dans une société, il faut être solidaire en temps de pandémie. »

« Et quand on se compare, on voit quand même que notre malheur était assez petit comparativement à celui de bien d’autres. »

Le « courant libertarien » a été révélé au grand jour, mais contrairement à tant d’autres, Guy Rocher se réjouit qu’il ait pu s’exprimer.

En voyant ce qui se passe en Russie et en Ukraine, j’apprécie encore davantage qu’on vive dans une démocratie, et dans une démocratie où on est allé très loin dans le respect de manifestants.

Guy Rocher, sociologue

M. Rocher note aussi le travail extrêmement professionnel des policiers, tout en retenue. Insultés et provoqués, ils n’ont pas bronché, se réjouit M. Rocher.

Une bonne capacité d’adaptation

Les Québécois, qui, pour la plupart, n’avaient jamais vécu d’épreuve collective depuis leur naissance, ont su s’adapter rapidement à cette pandémie qui a fait perdre à tous tant de repères, de certitudes et d’habitudes, note pour sa part le philosophe Daniel Weinstock, professeur à l’Université McGill.

On s’est adaptés, en cela, « la science nous a beaucoup aidés », dit-il, relevant par exemple que les chercheurs nous ont vite fait savoir qu’il n’était pas nécessaire de laver les bananes et tout le reste.

Le vieil adage « les femmes et les enfants d’abord » n’a plus tenu et comme société, « on a dû trancher des dilemmes éthiques terribles », en pensant « à ce que nous devons à nos aînés, à ce que nous devons à nos jeunes ».

En un clin d’œil, il a fallu statuer sur nos priorités.

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Daniel Weinstock, philosophe

D’un côté, il y avait les personnes âgées qui méritent des conditions de vie dignes de leur âge. De l’autre, il y avait nos jeunes.

Daniel Weinstock, philosophe

Pour qui s’est-on confinés, finalement ? « Pour les personnes vulnérables près de nous, pour nos propres parents âgés. »

Mais pas pour le bien commun, à son avis. « Si tel avait été le cas, on serait plus préoccupés par le fait que seulement 11 % de l’Afrique est pleinement vaccinée. »

Le fait que tout le Québec se soit pendu aux lèvres du trio santé à 13 h a peut-être donné le ton à une extrême prudence, dénuée de tout fatalisme. En général, « les gens ont réagi en cherchant à se protéger, sans se dire que si leur heure était venue, qu’il en soit ainsi ».

Selon M. Weinstock, par leur extrême prudence, les Québécois ont affiché encore une fois leur spécificité.

« Ici, les conversations tournaient toutes autour d’untel qui avait la COVID, des fluctuations du taux de positivité… Quand je me suis retrouvé en France pour le travail, quelque part entre Delta et Omicron, j’ai vu les gens prendre des métros bondés, se retrouver très collés les uns sur les autres au restaurant, se faire la bise, même ! »

Et M. Weinstock s’est dit surpris de constater que cela déteignait sur lui. Que peu à peu, son propre malaise dans les transports en commun se dissipait.

Comme si notre perception du risque ne nous était pas entièrement propre, mais qu’elle était teintée par ce qui se vivait autour de nous.

Daniel Weinstock, philosophe

On n’a vécu ni l’Ukraine, ni la Syrie, ni la grippe espagnole de 1919. Cette pandémie s’est vécue dans une société riche, avec de gros moyens, mais elle a coûté cher aux personnes âgées comme aux jeunes. « Quand je pense à ce qu’ont été pour moi mes 20 ans et mes 21 ans et que je regarde mon fils, je me dis que ces années-là, elles ne passent qu’une fois… »

Notre vie d’il y a deux ans nous paraît si loin, souligne-t-il aussi, « comme si cette pandémie avant changé notre perception du temps ».

On a beaucoup perdu, mais on ressortira de tout cela à tout le moins en sachant désormais combien la compagnie des autres nous est précieuse. Et comme c’est déjà le cas en France, prédit-il, « nous nous referons la bise ! ».