(Québec) Les mesures d’exception qui seront encore en vigueur lors de l’adoption du projet de loi mettant fin à l’état d’urgence sanitaire, au printemps, vont demeurer en place jusqu’au 31 décembre. Québec se garde d’ailleurs le pouvoir de « modifier ou abroger » un décret ou un arrêté. Certains contrats pourront aussi être prolongés pour une période de cinq ans. L’opposition crie à la « mascarade ».

Le ministre de la Santé et des Services sociaux Christian Dubé a déposé mercredi au Salon bleu, le projet de loi 28 visant à mettre fin à l’état d’urgence sanitaire au Québec, en vigueur depuis le 13 mars 2020.

Mais Québec n’a pas l’intention d’abandonner tous ses pouvoirs et espère conserver des « mesures opérationnelles » pour « rester agile » devant une éventuelle sixième vague à l’automne.

Les arrêtés permettant d’embaucher des retraités dans le réseau de l’éducation et des volontaires par l’entremise de la plateforme Je contribue ! en santé resteront en vigueur jusqu’au 31 décembre. Tout comme les autorisations spéciales de décloisonnement des professions pour les activités de vaccination. Québec veut également maintenir les services de télémédecine, augmentés pendant la pandémie.

« Ce sont des mesures temporaires, mais essentielles pour la transition », a fait valoir le ministre Christian Dubé en conférence de presse.

Le texte législatif qui tient sur quatre pages donnerait aussi le pouvoir au ministre d’« ordonner à tout ministère ou organisme […] de lui donner accès immédiatement à tout document ou renseignement en sa possession nécessaire pour la protection de la santé de la population en lien avec la pandémie », et ce, même « s’il s’agit d’un renseignement personnel ou d’un renseignement confidentiel ».

Cet élément fait écho aux visées de M. Dubé, qui souhaite pérenniser certains assouplissements qui lui ont donné accès à des informations pendant la crise sanitaire, notamment pour la vaccination.

Le ministre a déposé un projet de loi distinct en ce sens en décembre, mais ce dernier pourrait être adopté seulement après celui sur l’état d’urgence.

Contrats : une « assurance morale »

Le projet de loi 28 permet également le maintien des contrats conclus pendant la crise sanitaire, donc sans les processus habituels d’attribution de contrats, jusqu’au 31 décembre ou pendant cinq ans. Une disposition qui a fait bondir les partis d’opposition mercredi.

« [Pour les contrats de gré à gré], on en fait plus, et il y en aura plus », a plaidé M. Dubé qui dit offrir une « assurance morale » aux Québécois.

Pour être conclus, ces contrats doivent être nécessaires « pour assurer le bon fonctionnement des cliniques de dépistage ou de vaccination », l’entreposage et le transport des biens acquis pendant la pandémie.

Selon le spécialiste en droit public, Louis-Philippe Lampron, le projet de loi devrait contenir des dispositions l’obligeant à montrer patte blanche à ce sujet.

C’est vraiment sur la reddition de comptes où le gouvernement a un travail important à faire, selon moi. Là, il n’y a rien dans le projet de loi 28.

Louis-Philippe Lampron, professeur de droit de l’Université Laval

François Legault a promis de déposer un « rapport d’évènements » dans lequel il doit détailler « les mesures d’intervention mises en œuvre et les pouvoirs exercés » en vertu de la Loi sur la santé publique d’ici la fin juin. Mais cette obligation « est très minimale » selon M. Lampron. « Ce n’est pas l’exercice de la nature d’un “post-mortem” », nuance le professeur de la faculté de droit à l’Université Laval.

Le gouvernement a accordé pour 4,1 milliards de contrats en vertu du décret d’urgence sanitaire en 2020-2021 seulement. Les données officielles pour 2021-2022 ne sont pas encore dévoilées.

Pas de « retour en arrière »

Plutôt que dresser une liste détaillée des mesures qu’il espère conserver au-delà de la fin de l’état d’urgence sanitaire, le gouvernement a inscrit dans son texte législatif que « les mesures prévues par décret ou par arrêté […] en vertu de la Loi sur la santé publique qui sont en vigueur au moment où prend fin l’état d’urgence sanitaire le demeurent jusqu’au 31 décembre 2022 ».

C’est une formulation beaucoup trop vague aux yeux des partis de l’opposition, qui déplorent que le gouvernement conserve ainsi tous ses pouvoirs.

Québec se garde en effet le pouvoir « de modifier ou d’abroger un décret ou un arrêté afin de permettre l’allègement graduel des mesures ». Le gouvernement pourrait donc décider d’abandonner certains décrets et d’en modifier d’autres.

Le gouvernement assure en revanche que son projet de loi ne lui permet pas « de revenir en arrière » avec des mesures sanitaires qui ne sont plus en vigueur comme le passeport vaccinal, le port du masque (si le projet de loi est adopté après sa levée à la mi-avril) ou des limites dans les rassemblements privés.

« Il va rester cinq, six décrets. Alors, je veux juste rassurer tout le monde qu’il n’y aura pas d’autre chose que ça qui va être inventé », a assuré M. Dubé. Si le gouvernement voulait par exemple restaurer des restrictions sanitaires comme le passeport vaccinal, il devrait de nouveau décréter l’état d’urgence sanitaire.

« On sort [de l’époque] où le gouvernement peut ajouter des décrets, mais le cadre juridique qui nous gouverne au moment de l’adoption de loi, lui, perdure jusqu’en décembre. Donc, c’est comme une demi-sortie de l’état d’urgence sanitaire », analyse le professeur à la faculté de droit de l’Université Laval Patrick Taillon.

Cependant, cette façon de faire offre un avantage important : après décembre, il ne restera plus rien de cette époque.

Patrick Taillon, professeur de droit de l’Université Laval

Le projet de loi 28 fera l’objet de consultations parlementaires. M. Dubé espère que le texte législatif sera adopté avant la fin du mois d’avril. Ce n’est qu’une fois adopté que l’état d’urgence sanitaire sera levé.

Réactions des partis de l’opposition

Je trouve ça épouvantable. […] Le gouvernement se donne des pouvoirs jusqu’en 2022, c’est un premier problème. Second problème : il y a des contrats qui peuvent être donnés jusqu’à cinq ans plus loin. On s’en va en élections, en campagne électorale, et il s’arroge encore tous les pouvoirs. C’est une mascarade.

Dominique Anglade, cheffe du Parti libéral du Québec

Il n’y a rien qui change. Le gouvernement a les mêmes pouvoirs entre les mains. Il peut s’accorder les mêmes décisions. Et surtout, surtout, et c’est là mon immense déception, sans aucune reddition de comptes ni débat à l’Assemblée nationale. Alors, c’est une supercherie pour la population québécoise.

Vincent Marissal, porte-parole en matière de santé, Québec solidaire

La vraie fin de l’urgence sanitaire, ce sera lorsque le gouvernement aura accepté d’abandonner les pouvoirs extraordinaires qu’ils ont pris durant la pandémie, notamment octroyer des contrats à qui on veut, puis aller piger dans les informations personnelles des gens.

Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti québécois

C’est un trompe-l’œil. C’est un projet de loi qui donne l’illusion de sortir de la crise alors qu’il laisse le pouvoir au gouvernement. Il étire les contrats sans appel d’offres pendant cinq ans, puis il donne les pouvoirs au gouvernement jusqu’après les élections, soit le 31 décembre prochain.

Éric Duhaime, chef du Parti conservateur du Québec