Martin Koskinen, chef de cabinet de François Legault, fait un état des lieux après deux ans de pandémie

(Québec) Le projet de loi pour mettre fin à l’état d’urgence sanitaire sera le premier déposé à l’Assemblée nationale au retour de la relâche, dans deux semaines. Québec veut se donner un « minimum » de pouvoirs pour maintenir des mesures et réagir à une éventuelle sixième vague, sans avoir à décréter l’état d’urgence sanitaire. Il est possible qu’au début du mois d’avril, le port du masque ne soit plus obligatoire que dans les transports en commun.

Le 27 février 2020, il y a deux ans presque jour pour jour, le premier cas de COVID-19 était déclaré au Québec. La Presse a demandé une entrevue avec le premier ministre François Legault pour revenir sur la gestion de la crise sanitaire des deux dernières années, comme on l’avait fait au moment du premier anniversaire de la pandémie. C’est plutôt son chef de cabinet, Martin Koskinen, qui s’est prêté à l’exercice, une rare entrevue de sa part. Le message est clair : François Legault veut passer à une autre étape.

« Le premier ministre, chaque fois qu’il prend la parole, c’est un privilège, mais il ne faut pas abuser non plus. Si, chaque fois, on fait des moments solennels autour du virus, ce n’est pas comme si on apprenait à vivre avec le virus », explique l’alter ego de M. Legault, son complice depuis 20 ans.

Le premier ministre a été beaucoup, beaucoup présent dans la vie des Québécois. Ça se justifie dans des moments comme ceux-là, c’est comme lors d’une guerre. Mais là, il y a une volonté que le gouvernement reprenne son rôle et ne soit pas l’entité qui est omniprésente dans la vie des Québécois.

Martin Koskinen, chef de cabinet de François Legault

Pour lui, « c’était très important de souligner le premier anniversaire, mais là, tranquillement, ce qu’on entend, c’est que les gens ont le goût de voir puis de parler d’autre chose. Il y a quand même une volonté d’aller vers un retour à la normale ».

Changement de paradigme

Le Québec amorce ce retour. Le 14 mars, l’essentiel des mesures sanitaires sera levé. C’est grâce à une baisse « encourageante » des hospitalisations, mais aussi parce qu’« on est beaucoup moins vulnérables collectivement » avec quelque trois millions de Québécois qui auraient contracté la COVID-19 jusqu’ici, un nombre qui augmente chaque semaine.

La Santé publique retirera graduellement l’obligation de porter le masque. Il se « pourrait que le 1er avril, le seul endroit où on porte le masque, ce soit dans les transports en commun », évoque Martin Koskinen avec prudence. Il faudrait que « la tendance se poursuive » dans les hospitalisations et que la Santé publique donne le feu vert. La décision n’est pas prise.

Les grands centres de vaccination sont quant à eux appelés à disparaître. « On fait un effort jusqu’au 31 mars, mais après, il y a une réflexion à avoir » sur la campagne de vaccination, indique le chef de cabinet.

Autre moment charnière à venir : la fin de l’état d’urgence sanitaire. « Ce sera le premier projet de loi qui va être déposé après le congé de la relâche », assure-t-il. Les députés remettront les pieds au Salon bleu le 15 mars.

Un « minimum » de pouvoirs

Avec ce projet de loi, le gouvernement veut garder à sa disposition un « minimum » de pouvoirs, « sans être obligé de déclarer l’urgence sanitaire » pour les exercer. Il s’agit par exemple de pouvoir verser des primes aux travailleurs de la santé qui ne sont pas prévues aux conventions collectives, imposer le port du masque dans les transports en commun, déplacer du personnel pour faire des tests de dépistage ou de la vaccination, et maintenir des contrats de gré à gré « déjà signés ».

« Il faut que tout ce qui se retrouve [dans le projet de loi] soit justifiable et qu’on puisse expliquer pourquoi on a encore besoin de ces pouvoirs-là », insiste Martin Koskinen. Il signale qu’« à l’avenir, ce seront la vaccination et le masque qui vont être la police d’assurance pour éviter de nouveaux confinements ».

Québec entend ainsi se donner « une flexibilité et des moyens pour se préparer à une sixième vague éventuelle tout en s’assurant que les gens ne puissent pas percevoir ça comme un abus de pouvoir ».

À plusieurs reprises au cours de l’entrevue, Martin Koskinen tient d’ailleurs à répliquer à ceux qui accusent le gouvernement d’avoir abusé de ses pouvoirs. Ceux qui pensent que « le politique a “callé les shots” pendant 24 mois » et forcé la main de la Santé publique ont tort, « on exagère vraiment », lance-t-il.

Il considère que le gouvernement a eu raison de maintenir l’état d’urgence sanitaire pendant deux ans, alors que l’opposition réclamait sa levée l’automne dernier.

Je ne sens pas, après une cinquième vague comme celle qu’on a connue, qu’on abuse. Surtout pour un gouvernement qui est en année électorale et qui veut passer à autre chose. On ne fait pas ça pour le plaisir, on est les premiers à vouloir mettre ça derrière nous.

Martin Koskinen, chef de cabinet de François Legault

Selon lui, c’est un « mythe » de prétendre que les décisions durant la pandémie étaient guidées par des intérêts politiques. « Si ça avait été juste politique, on n’aurait pas fait ce qu’on a fait en décembre. On a pris des décisions extrêmement impopulaires ! On n’est pas venus au pouvoir en se disant qu’un couvre-feu, on pense que c’est une super idée. On embêtait le monde ! Mais dans notre for intérieur, on s’est dit que si ça peut réduire la transmission, on a le devoir de le faire », soutient-il.

L’idée d’imposer le couvre-feu aux non-vaccinés seulement a été envisagée. « Ça aurait été un coup politique, mais on voyait que ça n’aurait aucun effet réel sur la transmission du virus […], car les vaccinés aussi attrapent Omicron. Donc on a étendu la mesure à tout le monde, avec le coût politique que ça a occasionné. »

Même si Martin Koskinen et François Legault sont très proches, ils ne s’entendent pas toujours sur tout. Ils ont eu un différend sur l’imposition d’une « contribution santé », une taxe pour les non-vaccinés.

« Personnellement, je pense qu’il y avait un argumentaire solide pour l’exiger. Il y a un vaccin qui est disponible et qui est gratuit, donc tu as un moyen pour éviter une hospitalisation. Le premier ministre, et c’est tout à son honneur, a toujours été soucieux de ne pas polariser, de dire qu’on a une responsabilité de rassembler. Et il voyait qu’il ne fallait pas persister dans cette voie-là. » L’idée a été abandonnée.

Une plus grande place du privé en santé ?

Le gouvernement s’affaire maintenant à la « refondation » du système de santé. Il veut augmenter la capacité hospitalière du réseau ; le Québec est en queue de peloton du G7 pour le nombre de lits par million d’habitants. Des investissements seront nécessaires pour renforcer le réseau public, mais Québec envisage également d’ouvrir plus grand la porte au privé, sans que le patient ait à sortir son portefeuille pour se faire soigner.

« On a le devoir de ne pas approcher ça de façon idéologique, mais de façon pragmatique. Si le privé peut soulager le public, on a la responsabilité de fouiller cette question-là », estime Martin Koskinen, qui rappelle que des cliniques privées ont été appelées en renfort durant la pandémie pour réaliser des opérations.

« L’équation qu’on fait, c’est qu’à la fin, il faut qu’il y ait plus de services où tu utilises ta carte d’assurance maladie, et moins d’attente. Si on fait la démonstration qu’on peut y arriver avec une contribution additionnelle [du privé], on serait fous de s’en priver. »

Martin Koskinen à propos…

De la cinquième vague

« Je me souviens que l’INSPQ [Institut national de santé publique du Québec] nous avait fait une présentation sur le variant Omicron à l’effet qu’il était peu présent au Québec, et dès la semaine suivante, on était à 30 % des cas qui étaient dus au variant ! Il y a eu une montée exponentielle que la Santé publique et nos scientifiques n’ont pas mesurée, et je ne les blâme pas. On a eu peur de l’échapper [dans les hôpitaux]. Lors de la première vague, ça m’avait marqué qu’en Italie, on donnait de l’oxygène à des patients dans les stationnements des hôpitaux, et pour nous, c’était une crainte : est-ce que le système va craquer et est-ce qu’on va être obligés de donner de l’oxygène à des patients dans le stationnement de l’hôpital ? Ça nous a forcés à agir fortement et rapidement pour préserver la capacité du système de santé à soigner les patients, et l’adhésion populaire est passée vraiment en deuxième. »

Du moral des Québécois

« On n’est pas surpris qu’après 24 mois, il y ait une fatigue, une écœurantite, des frustrations, de la colère. C’est normal. Je pense qu’il y a, et on est sensibles à ça, une certaine cassure générationnelle : les moins de 50 ans versus les plus de 50 ans. Beaucoup de jeunes jugent que les sacrifices qu’ils font sont énormes par rapport aux risques véritables qu’ils courent. Quand on dit qu’il faut apprendre à vivre avec le virus, c’est qu’il va falloir protéger les plus vulnérables – et on en a les moyens avec la vaccination – et s’ajuster pour la suite. On souhaite éviter une grosse vague où on serait obligés d’imposer des mesures de confinement. »

Du départ d’Horacio Arruda comme directeur national de santé publique

« Le Dr Arruda est devenu injustement la cible de plusieurs experts qui disaient que, dans le fond, il était instrumentalisé par le politique. À la fin, en raison de l’usure et de la fatigue, [la population] doutait de la recommandation du DArruda. […] Personnellement, je trouve ça profondément injuste, mais en même temps, on a la responsabilité, nous, que le message passe. Lui et nous sentions que les critiques à son égard étaient de plus en plus virulentes. Il a trouvé le constat dur, mais il n’a pas rechigné, il comprenait. Et je pense aussi qu’humainement, on a exigé énormément de cet homme-là. Et il est le premier à reconnaître qu’il y avait une fatigue. Je pense qu’il n’a pas fini de servir l’État. Je n’ai pas de date [quant à son retour au travail au ministère de la Santé et des Services sociaux]. »