La confusion s’accentue autour de la deuxième dose du vaccin AstraZeneca. Jeudi matin, le ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec a souligné que ceux qui le voulaient pourraient la recevoir. Le soir, le Comité consultatif national d’immunisation (CCNI) recommandait plutôt de ne plus administrer le vaccin en deuxième dose. Si certains s’inquiètent, des experts québécois se veulent rassurants.

« Nous sommes perdus dans tout ça et ça devient difficile de faire des choix éclairés. » Suzanne Barbeau, résidante de Québec, a reçu une première dose d’AstraZeneca. Jusqu’à jeudi soir, elle prévoyait de recevoir une deuxième dose du même vaccin. Après avoir entendu les plus récentes recommandations du CCNI, elle remet en question sa décision. « Les messages sont contradictoires », déplore-t-elle.

Jeudi, les recommandations du CCNI sont venues s’ajouter à la confusion déjà présente au sujet des deuxièmes doses d’AstraZeneca.

Ça a commencé mercredi, lorsque le gouvernement du Québec a publié une directive qui a donné des sueurs froides à ceux qui attendaient leur deuxième dose d’AstraZeneca. Sur son site, Québec indiquait que « les personnes de 18 ans et plus qui ont reçu le vaccin Covishield ou AstraZeneca comme première dose devraient recevoir un vaccin Pfizer ou Moderna pour leur deuxième dose. L’administration d’un vaccin Pfizer ou Moderna en deuxième dose est plus efficace que deux doses du vaccin AstraZeneca ou Covishield ».

Jeudi matin, le ministre de la Santé, Christian Dubé, est revenu sur ce qu’il considère comme « une erreur de communication ». « Les gens qui ont reçu un [vaccin d’] AstraZeneca ne devraient pas nécessairement prendre un [vaccin] ARN. Il y a eu une erreur », a précisé Christian Dubé, au sujet du message qu’on pouvait lire la veille en ligne. Lors d’un point de presse, il s’est excusé auprès de la population pour la confusion engendrée. Mais ce sentiment persiste tout de même chez certains.

Puis jeudi soir, le CCNI a recommandé de privilégier les vaccins à ARN messager en deuxième dose pour ceux qui ont reçu l’AstraZeneca plus tôt. Cette recommandation est faite « sur la base des données probantes émergentes d’une réponse immunitaire potentiellement meilleure avec ce calendrier de vaccination mixte, et pour atténuer le risque potentiel de TTIV [thrombocytopénie immunitaire prothrombotique induite par le vaccin] associé aux vaccins à vecteur viral », a indiqué le comité fédéral dans une déclaration parue en après-midi.

Jointe par La Presse, l’attachée de presse de Christian Dubé, Marjaurie Côté-Boileau, n’a pas indiqué si Québec suivrait ou non la recommandation, affirmant plutôt vouloir « continuer de gouverner avec la Santé publique du Québec ».

Des Québécois inquiets

Annie Bergeron, enseignante retraitée de Chicoutimi, souligne la confusion qui persiste, même après la rectification du ministre de la Santé. « Je trouve qu’on joue encore sur les mots. Ce n’est jamais tout à fait clair », dit-elle. La résidante de Chicoutimi a d’abord eu le vaccin d’AstraZeneca, puis celui de Pfizer-BioNTech. Les différents messages au sujet d’AstraZeneca la laissent perplexe. « J’étais en colère, j’ai eu l’impression d’avoir été un cobaye », soupire-t-elle.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

France Ainsley a reçu ses deux doses d’AstraZeneca.

France Ainsley, résidante de Boucherville, a pour sa part reçu ses deux doses d’AstraZeneca. De son côté, les différents messages au sujet du vaccin ne l’inquiètent pas. « Je ne m’en fais pas. S’il y a lieu, ils vont me convoquer pour la troisième dose », a-t-elle dit en entrevue avec La Presse. « On fait confiance aux experts », ajoute cette dernière.

Une deuxième dose « le plus vite possible »

Qu’en est-il vraiment ? Peut-on faire confiance au vaccin d’AstraZeneca pour une deuxième dose ?

Le DAndré Veillette, immunologiste à l’Institut de recherches cliniques de Montréal, est rassurant, malgré les recommandations du CCNI. « Les trois vaccins approuvés sont tous d’excellents choix. Les gens devraient prendre le vaccin qui est disponible pour la deuxième dose », affirme-t-il.

Le DVeillette croit que ceux qui ont reçu deux doses d’AstraZeneca ne doivent pas prendre peur.

Le message est le suivant : il faut avoir la deuxième dose le plus vite possible. Que ce soit AstraZeneca, Pfizer-BioNTech ou Moderna.

Le Dr André Veillette, immunologiste à l’Institut de recherches cliniques de Montréal

L’immunologiste souligne l’importance de la double vaccination dans le contexte où le variant Delta, d’abord identifié en Inde, demeure une préoccupation.

Selon le DNicholas Brousseau, président du Comité sur l’immunisation du Québec (CIQ), l’option d’AstraZeneca et celle des vaccins à ARN messager sont toutes deux valables. « Seulement, à la lumière de données récentes, il y a une préférence pour le fait d’avoir Pfizer ou Moderna en deuxième dose. » Ces vaccins donneraient une meilleure réponse immunitaire, selon de nouvelles études.

Le DNicholas Brousseau se veut rassurant pour ceux qui ont eu deux doses. « Peu importe le vaccin, après la deuxième dose, la protection pour éviter d’être hospitalisé est de plus de 90 %. Pour les infections plus légères, il y a un petit avantage pour les vaccins à ARN », explique ce dernier, en s’appuyant sur des études anglaises.

Le DBrousseau soutient qu’il n’y a pas de recommandation actuelle pour une troisième dose. « Les gens sont complètement vaccinés après deux doses. On ne peut pas dire si une troisième dose sera considérée éventuellement, a-t-il précisé. Cela dépend de la performance des vaccins dans le temps. »

Évolution rapide de la situation

Reste que pour la population, toutes ces directives contradictoires minent la confiance.

La professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal (ESPUM) Roxane Borgès Da Silva affirme que des débats comme celui à propos de l’AstraZeneca « se déroulent habituellement dans des congrès scientifiques et durent sur plusieurs années ». « Là, il se trouve qu’on a tous le regard fixé sur la COVID et les données évoluent tellement vite qu’on fait part à la population des changements. Sauf que ça crée de la confusion », dit-elle.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Roxane Borgès Da Silva, professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal

En quelque sorte, le gouvernement est pris entre la science qui évolue très rapidement et les messages à diffuser qui deviennent incohérents. On vit une situation tellement inédite. Tant le politique et le scientifique que les comités d’évaluation reçoivent le contrecoup de leurs messages.

Roxane Borgès Da Silva, professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal

Par-dessus tout, Mme Borgès Da Silva espère que les gens « comprendront l’essentiel du message ». « Oui, ce serait mieux Pfizer ou Moderna en deuxième dose, étant donné qu’on remarque qu’ils offrent une meilleure protection contre le variant Delta notamment, mais en même temps, deux doses de n’importe quel vaccin vont faire le travail. C’est vraiment ça qu’il faut retenir », insiste-t-elle.

« Attitude paternaliste » de Québec

Québec a bien géré plusieurs dossiers, mais pas celui d’AstraZeneca, estime pour sa part le bioéthicien Bryn Williams-Jones.

« Le gouvernement dit : “On connaît tout, faites-nous confiance”, sans divulguer les incertitudes. C’est une attitude paternaliste, qui sous-entend : “Vous, les citoyens, vous n’êtes pas capables de comprendre.” Mais c’est faux ! »

« Il faut beaucoup plus de transparence ! On ne peut pas faire confiance à quelqu’un qui ne nous fait pas confiance », tranche le professeur, qui enseigne à l’École de santé publique de l’Université de Montréal.

Quand on n’avait que de l’AstraZeneca, on comprenait, c’était mieux que rien. Mais il ne faut pas taire qu’un autre vaccin, maintenant disponible, est optimal.

Bryn Williams-Jones, professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal

Depuis le 15 juin, le Comité d’immunisation du Québec recommande de privilégier les vaccins Pfizer ou Moderna en deuxième dose, même après avoir reçu AstraZeneca.

Pour le professeur Williams-Jones, les citoyens devaient le savoir pour faire un choix éclairé. L’ex-présidente du CCNI a déjà dit la même chose.

« Les politiciens voulaient qu’on dise que tous les vaccins étaient équivalents, et pour eux, le plus important était de vacciner le plus rapidement possible », a révélé la Dre Caroline Quach à La Presse Canadienne, le 12 juin.

Le 20 avril, Québec a pressé les 45 ans et plus de surmonter leurs craintes face à l’AstraZeneca et de se précipiter dans les cliniques sans rendez-vous pour en obtenir, précisant qu’il n’y en aurait pas assez pour tous. Neuf jours plus tard, le ministre Dubé a annoncé que tous les adultes pourraient prendre rendez-vous dans les deux semaines suivantes, avec l’arrivée de 5 millions de doses de Pfizer.

« C’est un exemple de cas où on manipule les gens au lieu de dire la vérité, estime le professeur Williams-Jones. Un million de doses de Pfizer ne tombent pas du ciel de manière imprévue. Le gouvernement voulait sans doute écouler ses doses d’AstraZeneca pour ne pas les jeter aux poubelles. »

Avec la collaboration de Lila Dussault, La Presse, et de La Presse Canadienne

Des revirements incessants

Plus de 600 000 Québécois ont reçu au moins une dose du vaccin AstraZeneca. Et plusieurs milliers en ont reçu deux – parfois trop tôt pour qu’elles soient pleinement efficaces. Survol des principaux rebondissements.

1er mars

Après avoir obtenu des rapports concernant les thromboses associées au vaccin AstraZeneca, le Comité consultatif national de l’immunisation (CCNI) recommande d’utiliser de préférence ceux de Pfizer-BioNTech et de Moderna.

11 mars

Des pays européens abandonnent l’utilisation d’AstraZeneca, comme le Danemark, ou réservent le vaccin aux résidants plus âgés, comme la France.

18 mars

PHOTO PAUL CHIASSON, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Christian Dubé, ministre de la Santé et des Services sociaux, a reçu une dose du vaccin AstraZeneca, le 18 mars dernier.

Le ministre de la Santé et des Services sociaux Christian Dubé reçoit une dose d’AstraZeneca – imité le mois suivant par le premier ministre du Canada, Justin Trudeau.

7 avril

Québec cesse temporairement d’administrer aux moins de 55 ans des doses d’AstraZeneca, mais répète que les bénéfices surpassent les risques.

8 avril

Les 55 ans et plus affluent par milliers dans les cliniques sans rendez-vous pour recevoir ce vaccin.

20 avril

Québec abaisse à 45 ans l’âge minimal pour recevoir l’AstraZeneca et presse les citoyens de se précipiter dans les cliniques sans rendez-vous, évoquant un manque de doses. C’est la ruée.

23 avril

Le CCNI réitère qu’il faut privilégier les vaccins à ARN messager. Le Canada anglais l’accuse de favoriser l’hésitation à la vaccination.

27 avril

Une Québécoise de 54 ans meurt d’une thrombose cérébrale provoquée par le vaccin d’AstraZeneca. D’autres suivront en Ontario, en Alberta, au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse.

13 mai

Au moment où les doses d’AstraZeneca sont presque écoulées, Québec cesse d’offrir ce vaccin comme première dose et annule les rendez-vous déjà pris. Le gouvernement encourage les citoyens à le recevoir quand même en deuxième dose.

27 mai

La revue scientifique The Lancet publie une vaste étude montrant que mélanger les vaccins AstraZeneca et Pfizer produit « une réponse immunitaire robuste ». Ce que d’autres études confirment ensuite.

31 mai

Des citoyens vaccinés depuis moins de 8 semaines reçoivent une deuxième injection d’AstraZeneca dans des cliniques sans rendez-vous – à l’occasion d’un nouveau blitz de quatre jours –, mais apprennent dans les heures ou les jours suivants qu’ils ont été revaccinés trop tôt, et sont donc bien moins protégés.

7 juin

Le CCNI recommande que les citoyens vaccinés avec AstraZeneca reçoivent le même vaccin ou optent plutôt pour Pfizer ou Moderna en deuxième dose.

14 juin

Le Soleil dénonce un manque d’équité. Les citoyens vaccinés avec le vaccin d’AstraZeneca ne peuvent devancer leur deuxième dose et passer au vaccin de Pfizer – pourtant offert en quantité suffisante –, ce qui les contraint à attendre 16 semaines ou lieu de 8 avant d’être pleinement vaccinés.

15 juin

Les gens vaccinés avec l’AstraZeneca peuvent maintenant devancer leur deuxième rendez-vous, en raison des livraisons prévues de vaccins, affirme Québec.

15 juin

Le Comité sur l’immunisation du Québec recommande d’offrir un vaccin de Pfizer ou de Moderna aux personnes ayant d’abord reçu le vaccin d’AstraZeneca, parce qu’elles sont alors mieux protégées contre le virus.

17 juin

Christian Dubé réitère que le vaccin d’AstraZeneca était « un excellent vaccin » et que les Québécois peuvent encore le recevoir en deuxième dose.

17 juin

Le CCNI ne recommande plus l’utilisation du vaccin d’AstraZeneca en deuxième dose, affirmant que ceux de Pfizer et de Moderna sont « préférables ».