(Montréal) « L’insalubrité et la décrépitude des lieux, le manquement d’équipement sanitaire » et « l’inaction du gouvernement » : voilà les causes de la mort d’Ephrem Joseph Grenier au CHSLD montréalais Yvon-Brunet, selon sa fille venue témoigner dans le cadre de l’enquête de la coroner sur les décès de personnes âgées et vulnérables lors de la première vague de COVID-19

« L’urine coulait par terre et le plancher était insalubre […] les équipes d’entretien ne faisaient pas les planchers la fin de semaine » même avant le début de la crise, s’est remémoré Johanne Grenier. « Les couches souillées des résidants étaient toujours laissées dans le couloir », dans des bacs et des sacs en plastique, ce qui créait « une odeur nauséabonde ».

Durant la première vague de la pandémie, les mesures mises en place à Yvon-Brunet, soit « l’isolement (dans les chambres), l’interdiction d’être visité par les proches, se laver les mains, tousser dans les coudes », étaient pour elle nettement insuffisantes. Le jour de sa dernière visite, elle a aussi remarqué qu’« aucune procédure n’avait été mise en place pour le transport des corps », qui étaient « sortis par la porte d’entrée », la même que tout le monde empruntait.

« Film de guerre »

Le 10 avril 2020, M. Grenier n’avait pas de symptômes. Le lendemain, il faisait de la fièvre. Le surlendemain, il était sur son lit de mort. C’est dans ce contexte que sa famille est venue le voir une dernière fois, presque un mois après l’interdiction de visites dans les CHSLD.

« Personne ne mérite de partir ainsi », a déploré Sonia Grenier, une autre fille du défunt, dans sa déposition écrite révélée mercredi. Lorsqu’elle est arrivée, son père était dans un « état de semi-conscience et très souffrant » et avait « drastiquement perdu du poids », alors qu’autour de lui « la chambre était dans un état lamentable », avec des « couches à terre » et une « odeur presque insoutenable ». Elle a dit avoir été « en choc post-traumatique pendant plusieurs mois » après cette visite.

Les préposés aux bénéficiaires semblaient épuisés et « pleuraient », d’après ses observations. Elle voyait « le désarroi et l’impuissance dans leurs regards », comme « une scène de film de guerre ».

Les membres de la famille ont insisté sur le fait que les employés ne sont pas à blâmer pour les évènements : « tout ce qu’il y avait de bon, c’était la gentillesse du personnel », a affirmé Johanne Grenier. Elle a tenu à remercier les gens qui ont pris soin de son père du mieux qu’ils ont pu, compte tenu des circonstances.

Courir, travailler, pleurer

« Je passais mes journées à courir, à travailler, à pleurer » : entre absence de personnel et manque d’équipement, les préposés aux bénéficiaires du CHSLD Yvon-Brunet en ont arraché pendant la première vague de COVID-19.

« C’était la pire période de ma vie », a témoigné une employée mercredi. L’identité de tous les préposés aux bénéficiaires présents aux audiences est protégée par une ordonnance de non-publication.

Souvent, ses collègues et elles n’ont « pas pris (leurs) pauses, pas pris (leurs) dîners », en plus de faire beaucoup d’heures supplémentaires. En avril 2020, presque la moitié du personnel était absent, car atteint de la COVID-19.

Ceux qui restaient devaient, en plus d’assumer les tâches des absents, gérer des résidants souvent confus. « C’était vraiment difficile de les maintenir dans leurs chambres, il y en a plusieurs qui ne comprenaient pas pourquoi », a-t-elle expliqué.

Au début avril, « on manquait de jaquettes, on manquait de masques » de types chirurgical et N95, a-t-elle affirmé, ajoutant s’être fait « tousser dans la face » durant cette période. Elle s’est rappelé avoir porté un masque de construction prêté par un collègue, en désespoir de cause.

Selon plusieurs autres employés, il manquait aussi de désinfectant, autant en gel qu’en lingettes.

Le contexte de l’enquête

L’enquête de la coroner se penche sur les décès de personnes âgées ou vulnérables survenus dans des milieux d’hébergement au cours de la pandémie de COVID-19, qui comptent pour la moitié des victimes de la première vague. Son objectif n’est pas de désigner un coupable, mais bien de formuler des recommandations pour éviter de futures tragédies.

Six CHSLD et une résidence pour personnes âgées ont été désignés comme échantillon. Un décès est examiné pour chaque établissement.

Les audiences de cette semaine portent sur la mort de M. Ephrem Joseph Grenier, le 12 avril 2020, au CHSLD Yvon-Brunet, à Montréal. Elles continueront jusqu’à jeudi. La semaine prochaine, l’enquête portera sur le CHSLD Sainte-Dorothée, à Laval. À la toute fin, un volet national sera aussi examiné.

Cet article a été produit avec l’aide financière des Bourses Facebook et La Presse Canadienne pour les nouvelles.