Aucune « zone chaude » n’a été mise en place au CHSLD Yvon-Brunet durant la première vague de COVID-19, ce qui a provoqué de multiples déplacements de résidents à l’intérieur du centre d’hébergement. Une situation qui a même mené à un « débordement » dans le sous-sol de la bâtisse, où étaient regroupés plusieurs bénéficiaires.

C’est ce qui est ressorti lors de la deuxième journée des audiences publiques portant sur le CHSLD Yvon-Brunet de Montréal, mardi.

Une « zone chaude », désignée comme lieu quarantaine pour les résidants infectés par la COVID-19, n’a jamais été mise en place au CHSLD Yvon-Brunet, lors de la première vague du printemps 2020. Et ce, même si une rencontre de « planification de la zone chaude » a eu lieu le 1er avril, soit six jours après le premier cas suspecté de COVID-19 dans l’établissement, a témoigné Diane Brière, la conseillère du programme de prévention et contrôle des infections (PCI) du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, devant la coroner Géhane Kamel.

« C’était le festival du déménagement », a même qualifié la cheffe de l’unité de l’époque, Pascale Dunlop. Durant les premières semaines d’avril, certains aînés ont été transférés au sous-sol de la bâtisse, d’autres ont été isolés dans leurs chambres, et d’autres se sont installés « avec leur baluchon » dans les chambres libérées par ceux qui étaient au sous-sol. Ces déplacements ont accéléré la transmission du virus, constate Mme Dunlop, en rétrospective.

Cette dernière se rappelle « une vision d’horreur », faisant référence au déroulement des trois premières semaines d’avril, alors que la crise battait son plein au sein de l’établissement. « Je n’ai jamais vu autant de décès. La morgue ne fournissait pas », a-t-elle témoigné.

Cette dernière a tenté de justifier l’absence d’une « zone chaude » dans son CHSLD. « Les résidents qui présentaient des symptômes étaient disséminés dans la bâtisse. C’est devenu exponentiel, c’est venu de partout. »

Port du masque tardif

Déjà aux mois de janvier et février 2020, plusieurs employés de l’hôpital chinois ont fait part de leurs craintes à la conseillère PCI, Diane Brière, chargée, entre autres, de l’hôpital chinois et du CHSLD Yvon-Brunet. Elle a également constaté que la plupart des employés de l’hôpital chinois avaient commencé à porter leurs propres masques à l’intérieur de l’établissement.

Dans le cas du CHSLD Yvon-Brunet, le port du masque n’a été appliqué qu’à partir du 3 avril, date à laquelle les masques sont devenus obligatoires pour le personnel soignant, selon la cheffe d’unité à l’époque, Pascale Dunlop. Elle a reconnu avoir interdit à ses employés du CHSLD Yvon-Brunet, de porter leur propre masque. Une infirmière qui a témoigné en fin de journée se souvient qu’un employé voulait porter son propre masque avant le 3 avril. « Un chef est venu le voir et lui a dit qu’il allait faire peur aux résidents », se souvient-elle.

Mme Dunlop s’est défendue de sa décision, mardi avant-midi devant la coroner Géhane Kamel, en affirmant suivre les consignes de la santé publique qui conseillait plutôt lavage de mains, et aussi, pour veiller à « la sensibilisation de la pénurie d’équipement. ». L’assistant chef d’unité de l’époque, Jean-Wilbert Joseph, l’a toutefois contredit dans son témoignage, en affirmant que les masques n’étaient pas obligatoires au CHSLD Yvon-Brunet à partir du 3 avril. « On les utilisait pour certaines interventions, notamment ceux qui avaient la COVID-19. […] C’était du cas par cas », a-t-il affirmé.

Mme Brière soutient avoir interpellé sa supérieure, par écrit, concernant les inquiétudes des employés de l’hôpital chinois, mais le mot d’ordre du port du masque au niveau du personnel soignant a tardé.

« Les gens vous soulignent leurs inquiétudes, vous rapportez celles-ci, mais vous êtes plus ou moins entendues. Vous relancez par courriel, afin de protéger le personnel, vous recevez une réponse plus ou moins favorable. Quelques jours après, c’est l’instauration du port du masque. Quand on regarde ça en rétrospective, depuis janvier, il y a un sonneur d’alarme », a déclaré la coroner Géhane Kamel, pendant l’intervention de Mme Brière.

Les hôpitaux priorisés

Les CHSLD ont été défavorisés par rapport aux hôpitaux lors de la première vague de COVID-19, ont affirmé plusieurs témoins. « [Lors de la première vague], on pensait que ça se passerait dans les hôpitaux », a témoigné, lundi, Isabelle Matte, directrice adjointe à l’hébergement pour le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal

Le CHSLD Yvon-Brunet a continué à admettre des nouveaux résidents, même après qu’un premier cas de COVID-19 a été suspecté, le 26 mars 2020. La conseillère PCI précise avoir discuté du problème à ses supérieurs, mais on lui a mentionné que l’objectif était de libérer des lits dans les hôpitaux. « On s’attendait à plusieurs cas dans les hôpitaux, donc on a libéré des lits », témoigne-t-elle.

De plus, la cheffe d’unité, Pascale Dunlop, a mentionné que les distributeurs de gel hydroalcoolique avaient été retirés des corridors du centre d’hébergement pendant quelques jours, en avril, afin de les « [préserver] pour les hôpitaux ». Outre la pénurie de gel hydroalcoolique, cette dernière témoigne qu’il y a eu un manque d’équipements (chemises, gel, gants, lingettes) et qu’ils ne recevaient pas tout ce qu’ils avaient commandé. À son témoignage, la conseillère PCI, Mme Brière, a toutefois indiqué qu’elle n’avait pas observé un manque d’équipement au mois d’avril. L’assistant chef d’unité a également témoigné qu’il n’y avait pas eu de pénurie de gel hydroalcoolique durant ce mois. « Il n’y a pas eu de rapatriement de gel pour les hôpitaux. Seulement les jaquettes et les masques ont été retenus pour le milieu hospitalier », a-t-il affirmé.

Rappelons que la moitié des décès de la COVID-19 sont survenus dans les CHSLD lors de la première vague. Le centre d’hébergement Yvon-Brunet a été particulièrement touché. On compte 120 bénéficiaires qui ont été infectés par la COVID-19, soit les deux tiers des résidents. De ce nombre, 73 sont décédés. On y compte également 14 travailleurs de la santé ayant été infectés par le virus.

Les audiences publiques, présidées par la coroner et avocate Géhane Kamel, se tiennent jusqu’au 23 juin au palais de justice de Laval. À partir du 15 juin, elles porteront sur le CHSLD Sainte-Dorothée de Laval.