Entre les vaccins, qui préviennent l’infection et les complications de la COVID-19, et certains traitements administrés à l’hôpital pour les patients très malades, il n’existe pas (encore) de médicament efficace pour soigner une infection par le coronavirus à la maison. Est-ce que la prise de comprimés de colchicine, un anti-inflammatoire bien connu et peu coûteux, pourrait être un traitement à envisager pour prévenir les hospitalisations et les morts chez les personnes qui risquent d’avoir des complications ?

Oui, affirment les auteurs de la grande étude COLCORONA, menée par l’Institut de cardiologie de Montréal (ICM), dont les résultats ont été publiés jeudi dans la revue scientifique Lancet Respiratory Medicine. Mais leurs résultats montrent également que la colchicine n’est pas une panacée.

L’étude compte 4159 participants, recrutés dans six pays, dont le diagnostic de COVID-19 a été confirmé par un test PCR. Tous les participants étaient âgés de plus de 40 ans et présentaient au moins un facteur de risque d’aggravation de la maladie, comme le diabète ou une maladie cardiorespiratoire.

Dans le groupe qui a reçu la colchicine, les participants ont été un peu moins nombreux à être hospitalisés ou à succomber à la maladie, soit 4,6 % contre 6 % pour le groupe placebo. Pris séparément, c’est surtout du côté de la prévention des hospitalisations (4,5 % contre 5,9 %) que de la prévention des décès (0,2 % contre 0,4 % pour le groupe placebo) que la colchicine a fait une différence.

L’effet de la colchicine sur les hospitalisations, même s’il est mince, est « statistiquement significatif », notent les chercheurs. « On a également démontré qu’il y a des groupes de patients qui bénéficient davantage de la colchicine », dit le DJean-Claude Tardif, directeur du Centre de recherche de l’ICM et chercheur principal de COLCORONA. « Parmi ces groupes qui sont à risque et qui bénéficient de la colchicine, il y a les hommes, les diabétiques, les patients qui ont des maladies respiratoires ou cardio-vasculaires. »

De l’utilité de la colchicine

À la lumière de ces résultats, les médecins prescriront-ils de la colchicine aux personnes à risque qui reçoivent un test de dépistage positif à la COVID-19 ? Rien n’est moins sûr. En janvier, le Collège des médecins et l’Ordre des pharmaciens avaient déjà recommandé la prudence à leurs membres après la publication des résultats préliminaires.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Karl Weiss, microbiologiste à l’Hôpital général juif de Montréal

Pour le microbiologiste Karl Weiss, de l’Hôpital général juif de Montréal, « le dossier de la colchicine est clos ». D’une part, la publication des premiers résultats ne l’avait pas convaincu du potentiel de la molécule.

Au début de la pandémie, j’ai prescrit [de la colchicine] parce qu’on était mal pris, on n’avait rien d’autre. Mais je n’en prescris plus aujourd’hui.

Karl Weiss, microbiologiste à l’Hôpital général juif de Montréal

D’autre part, souligne le DWeiss, l’intérêt de la colchicine pour prévenir des hospitalisations chez les personnes à risque est bien moindre depuis que la vaccination est disponible. « Normalement, vous ne devriez pas pour trouver dans une situation où vous êtes malade avec la COVID-19. Si vous êtes vacciné, vous n’aurez pas de complications. »

En effet, reconnaît le DJean-Claude Tardif, et c’est pour cette raison que les résultats préliminaires ont été diffusés en janvier, au moment où la vaccination n’était pas accessible à tous. « On voulait aider les patients, et le moment pour les aider, c’était avant que la vaccination nous permette d’atteindre l’immunité du groupe. »

Mais la vaccination n’est pas encore accessible partout dans le monde, fait-il remarquer. « Le bénéfice se trouve dans les populations où il y a peu de vaccination, comme en Inde. Le rapport de la Fondation Gates [l’une des organisations qui ont financé l’étude, comme le gouvernement du Québec et l’ICM] a dit que la colchicine était un ajout important, en particulier pour les pays pauvres ou en développement. »

« Même pour le Québec, il peut y avoir un intérêt puisque les vaccins n’offrent pas une protection parfaite », dit le DTardif. « Je prescris du Tamiflu chaque année contre la grippe, alors qu’il y a un vaccin. »

Nouveaux médicaments

Les chercheurs avaient estimé en janvier qu’il faudrait traiter 70 personnes pour éviter une hospitalisation. Le DGuy Boivin, coauteur de l’étude COLCORONA, a depuis raffiné son analyse : parmi les hommes de plus de 40 ans présentant un facteur de risque de complication, une hospitalisation est prévenue pour 29 traitements à la colchicine. « Et c’est une molécule qui ne coûte presque rien, dit-il. J’ai vérifié encore récemment, un comprimé de colchicine coûte 0,30 $. »

Mais pour traiter plus efficacement la COVID-19 à la maison, il faudra attendre de nouveaux médicaments. Certaines molécules, comme les stéroïdes (dexamethasone), ont donné de bons résultats chez certains patients hospitalisés. D’autres, comme l’antiviral remdésivir, qui avait connu son heure de gloire lors de la publication des premiers résultats l’an dernier, se sont avérés décevants. Et d’autres, comme la controversée hydroxychloroquine, ne fonctionnent pas du tout.

Le traitement de la COVID-19 est maintenant dans une autre phase, dit le DWeiss, celle du développement de molécules qui s’attaqueront précisément à cette maladie. « Avec un objectif thérapeutique ou prophylactique, pour des patients hospitalisés, ou à la maison. » Mais ces nouveaux médicaments ne sont pas attendus avant encore deux ou trois ans, estime le spécialiste.